Le temps d’un été!

Quel été foisonnant, en imprévus, rebondissements, composés tant de joies, que de cœurs brisés, de mariages, d’opportunités, de présence, d’apprentissages, de croissance et de crises, qu’elles soient familiales, locales, papales, climatiques ou mondiales. Il me reste de cet été cette phrase qui dit tant : Les temps sont doux, même quand ils sont durs.

Ce que j’en retiens est d’une telle simplicité, comme cet adage maintes et maintes fois répété et entendu, « go with the flow » suis la rivière. Or, un matin agité, pas le matin, mais mon esprit, assise près de la rivière à la regarder couler, j’ai reçu profondément son message. « Manon, suis le courant, va où la vie te conduit. La vie ne se trompe jamais, ne résiste à rien, fais confiance, laisse aller ».

La vie est effectivement plus simple lorsque j’accueille tout ce qui m’est offert, sans attentes, sans jugements, désirs et sans discriminer ce qui est bon ou non. Lorsque j’y arrive, ce qui me semblait difficile, devient tout à coup de l’amour en mouvement.  » Faire confiance à la vie, disait Charles Pépin, c’est chérir l’incertain au lieu d’en avoir peur. C’est croire qu’il y a dans la vie, dans toute vie, quelque chose de bon et même de tendre. C’est continuer à aimer la vie même quand elle semble dure. C’est penser qu’elle n’a pas besoin d’être parfaite pour être digne d’être vécue. Qu’il y a au fond du monde, malgré le scandale qu’il abrite parfois, quelque chose comme une tendresse, une lumière que nous avons tous déjà entrevue et qui ne s’oublie pas ». Je ressens cette tendresse dans la vie qui passe, même lorsqu’elle semble difficile et incertaine.

Un été à saveur d’humilité. Un mot que j’apprivoise ou plutôt qui m’apprivoise, puisque je crains parfois que l’on ne m’abuse si j’en fais preuve trop souvent. L’humilité de ne pas toujours savoir ce qui est juste, de ne plus entendre et discerner les nombreux signes. Celle d’accepter de réouvrir mon cœur de nouveau après l’avoir fermée à double tour, d’écouter l’autre complètement dans sa vérité, sachant que je ne peux le saisir entièrement mais que je peux percevoir la réalité complexe de la personne devant moi et la mienne par la force des choses. Cependant, ce libellé populaire « par la force des choses » témoigne bien mal de l’expérience de l’écoute profonde de soi et de l’autre, car c’est davantage par la douceur des choses que cela se produit.  

L’humilité de ne pas m’interposer, de ne rien juger de ce qui se présente, de tout recevoir ce qui
me traverse comme un invité, comme l’a écrit Rumi dans le sublime poème « La maison de l’hôte (1) ». La colère et son feu qui me fait peur, jusqu’à la délivrance de son message qui me parle de la limite que je n’ai pas posée parle, du personnage de gentille fille qui m’habite encore par peur de perdre. Celle de me demander si j’ai blessé quelqu’un au passage, car lorsque le feu brûle, des braises ardentes peuvent éclabousser de quelques flammèches ceux qui se trouvent autour. L’humilité de pleurer lorsque la peine et l’impuissance se conjuguent avec comme résultat de toucher au découragement, à la désespérance. Plus encore, partager ce magma avec une personne chère, si proche malgré l’éloignement, laisser déborder et monter les grandes crues au risque d’être submergée, et y trouver apaisement et sécurité. 
Tant que l’on nie ce qui se passe au fond de nous, on ne peut le consoler, est une toute petite phrase d’une grande justesse.

L’humilité de me laisser renouveler, de ne pas savoir de quoi sera fait l’avenir et pourtant d’y consentir. De consentir à l’attente, à la fatigue, à la douleur, à donner du temps au temps, au silence, à la peur du rien et simultanément à l’immense bonheur d’être simplement vivante en ce monde si beau. À l’instar de la poétesse Nicole Brossard, je souscris au fait que « tant que l’on peut aimer, penser, marcher, regarder, apprécier ce que nos sens captent du vivant autour de nous et en nous, vieillir est une forme d’accomplissement et de relation douce avec le temps.

En cette été 2022, je ne peux passer sous silence une évidence qui s’est peu à peu faufilé jusqu’à moi, suite à la visite de ce vieil homme humble, héritier de François d’Assises, venue s’agenouiller et demander pardon aux premières nations. Chaque blanc de ce pays où d’un autre colonisé par des conquérants, dont nos ancêtres, portent une part de responsabilité de ce colonialisme qui a mené à un génocide tissé à même la trame de nos silences, de nos préjugés et de notre indifférence. Ainsi, la réconciliation et le pardon ne peut être que collectif, tous ensemble nous devons mettre de l’amour là où il y a eu de la souffrance, de la peur et de la haine. Je ne peux que reprendre et faire mienne cette prière bouddhiste du pardon qui dit ceci et remercier au passage mon ami Ati pour la traduction :

Si j’ai blessé quiconque, de quelque manière que ce soit, consciemment ou inconsciemment, à cause de mes confusions, je demande pardon. Si quiconque m’a blessé, de quelque manière qui soit, consciemment ou inconsciemment, à cause de ses confusions, je lui pardonne. S’il existe une situation actuelle dans laquelle je ne peux pas encore pardonner, je me pardonne pour cela. Pour toutes les fois où je me suis blessé(e) moi-même, me suis nié(e), ai douté de moi, me suis diminué(e), me suis jugé(e) ou que j’ai été indélicat(e) envers moi-même, à cause de mes confusions, je me pardonne.

En vieillissant, je ressens parfois un certain vertige devant ce monde qui est à la fois d’un enchantement difficilement témoignable, d’une cruauté et d’une absurdité qui me laissent souvent sans voix et d’un tel mystère. Je viens à peine de comprendre, que dis-je de saisir le big bang, cette naissance de l’univers, qui s’est fait en moins d’un milliardième de seconde et qui depuis quelques quatorze milliards d’années, ne cesse de s’expandre.   Comme le dit Jean D’Ormesson : « la vérité est que sur l’avant-notre-monde comme sur l’après-notre-mort nous ne savons rien. Nous pouvons croire. Nous pouvons rêver. Nous pouvons espérer mais nous ne pouvons pas savoir. (2) »

Cet immense « je ne sais pas » à laquelle je consens avec plus de facilité, peut-être est-ce là le
début de l’humilité? Il m’est égal de ne pas savoir, de ne pas comprendre l’inclassable mystère de la vie et de la mort, puisque cela ne m’empêche en rien de participer à cette fête à laquelle je suis sans cesse conviée. L’aventure dans laquelle s’entremêle ravissement et souffrance, nous invite sans cesse à nous rendre, à sortir de nos histoires, de nos vides, de nos illusions et à goûter la présence tranquille de ce Dieu dissimulé en toutes choses, notamment dans de nombreux moments de cet été surprenant.

Cette courte liste laissée par cet été qui s’étire, en témoigne :

  • Les enfants qui rient sous la pluie
  • Le mariage de 2 femmes que j’aime, entouré de notre tribu si douée pour la célébration
  • Un chant entamé avec des amis qui apporte la félicité
  • Le temps et l’amour que j’ai mis à endormir un enfant apeuré, qui se détend lover contre mon ventre
  • L’amitié, la gratitude pour ces espaces d’ouverture de cœur et de connexion
  • Les fleurs qui caressent notre âme de leur délicatesse, permettant d’accéder à la poésie du
    monde;
  • La complétude d’avoir été entendue jusque dans nos silences
  • Le vin orange bio fabriqué avec amour sur des terres fertiles et offert par mon neveu un chaud après-midi d’été
  • Le bleu du lac dans lequel je me suis baignée
  • Une chanson des Séguin, « l’homme du Nord (3) »
  • Une citation qui me rend songeuse
  • Le bruissement de l’eau lorsque le vent fait frissonner la rivière et le soleil qui la teinte de mille diamants
  • L’espérance conservée, sans cesse rechoisie devant des situations difficiles et souffrantes.
  • Du maïs bicolore bien tendre et croquant, cuit à point

Voilà, je vous l’avais dit, tout simple! Un collier de petits riens. Comme quoi le rien et le tout sont inséparables. Goethe a écrit que « Rien ne se produit au sein de la nature vivante qui ne soit en relation au tout ». Je suis bien d’accord avec lui.

Manon Rousseau / 31 août 2022

Sources :
1) La Maison de l’Hôte. Djalal ed-Din Rumi. Poète mystique perse, 13e siècle

2) Comme un chant d’espérance. Jean d’Ormesson, Gallimard
3) L’homme du Nord, auteurs Richard Séguin et Francine Hamelin. https://www.youtube.com/watch?v=lSlzyFt1ULg

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