Voilà quelques temps, j’ai entendu à la radio que l’expression « Haut les cœurs » provenait du mot courage.  Or, j’ai eu beau en chercher le sens étymologique, je n’ai pas trouvé cette définition que je considère bien jolie et fort pertinente. Il faut tenir son cœur bien haut, avoir du courage et beaucoup d’amour pour défier ceux que l’on aime, ai-je pensé. D’ailleurs, le mot courage est dérivé du latin cor (cœur). Selon un moteur de recherche populaire (1), en philosophie, le courage désigne la force d’âme, la fermeté et l’endurance du cœur dans les épreuves et celle de l’esprit pour défendre des idées hardies. Pour Socrate, le courage se double du courage intellectuel : soit la lutte contre l’ignorance pour faire triompher la vérité et la vertu, le tout exécuté avec fermeté, malgré le péril qu’il encourt.

Selon ces définitions, il semble que je fasse souvent preuve de courage, puisqu’exprimer avec fermeté mes idées et les valeurs auxquelles je crois auprès de mes proches, m’en demande beaucoup. Évidemment, je ne parle pas de discussions faciles, d’échanges et de débats d’idées autour d’une table, mais de discussions plus ardues, parce que souvent teintées d’émotions, d’opinions, de croyances ou de valeurs qui diffèrent et nous touche personnellement. Ainsi, lorsque ma petite fille m’a annoncé qu’elle était enceinte, alors qu’elle a à peine 21 ans, je n’ai pas sauté de joie. Il m’a fallu beaucoup de courage pour exprimer à plusieurs reprises, l’ensemble de mes inquiétudes, expériences, conseils, émotions, peurs et autres tuttis quanti.

J’étais à la fois touchée tant par la force de ma réaction que par la pertinence de la partager dans son entièreté. Cependant, à l’instar de Socrate, la lutte contre l’ignorance m’est intrinsèque. Ainsi, je crois que l’éducation, la prise de décision éclairée, sont de puissants vecteurs pour briser les cercles de pauvreté, d’exclusion, d’inégalités et apporter prospérité et paix. Avec le recul, il m’apparaît si fréquemment comment le travail social que j’ai exercé durant plus de 30 ans, m’était prédestiné. J’ai, de ce fait, toujours eu tendance « à vouloir tirer vers le haut » tous ceux que je côtoie, et ce, même si j’ai de plus en plus conscience de la prétention qui se trouve au cœur de cette énoncé. Qui suis-je pour penser que certaines personnes aient besoin d’être tirées vers le haut? Ne devrions-nous pas attendre pour proférer nos conseils et partager nos croyances, qu’il y ait eu une demande, un besoin exprimé? Ai-je le droit, à partir de mes propres valeurs, expériences, jugements, considérations, convictions de tenter de convaincre une jeune femme adulte, que ce n’est ni le bon moment, ni une bonne idée d’avoir un enfant.

Ce qui m’a plu, émue et déstabilisée, c’est la réaction d’Océanne, ma petite fille; ses arguments étaient tout aussi persuasifs et valables que les miens. Qui plus est, elle a pris le temps de reprendre point par point, mes inquiétudes et autres considérants, pour m’apporter les siens avec force et détermination. Je riais, sous la barbe que je n’ai pas, me disant que cette jeune femme avait de la grand-mère et du père dans le nez et que la pomme n’était pas tombée loin du pommier.

Ainsi, il nous est vite apparu qu’elle ne changerait pas d’idées quant à avoir cet enfant, qu’elle était certes mitigée, parce qu’à la fois heureuse et inquiète, mais que son choix était fait et qu’elle en assumait les conséquences. C’était d’autant plus fort, que son conjoint, partageait le même discours, ils souhaitaient cet enfant et étaient conscients et prêts à être bouleversés, chamboulés et à voir leurs vies complètement transformées. D’ailleurs, ses hauts le cœur, l’arrêt d’alcool, de vapoteuse, les inconforts, tout était accepté, assumé, choisi. C’est toujours dans ces moments qui de mon humble et petit point de vue, s’apparente à une crise, que je vois l’action de l’esprit qui souffle sur tout, en tout temps, sans que nous en prenions conscience…

Ainsi, le père, la mère, la tante, le grand-père, les parents et grands-parents du futur papa, bref, tous ont contribué à la discussion avec émotions. Nous avons discouru, pleuré, ri ensemble pour finalement laisser la poussière retombée et la vie suivre son cours. Quelques semaines plus tard, nous savons la date de la naissance et nous nous prenons à rêver à ce futur petit être qui viendra nous inviter à encore plus d’amour. « Chaque pas sur cette terre devrait être comme une prière » a dit le chef sioux El Black, j’ajouterais chaque parole aussi. Nous sommes si loin de ce temps lent où chaque geste, chaque parole comptaient, parce que mûrement réfléchie, portée dans le silence, loin de l’agitation. Nous sommes si prompts et disons tant de choses en cet ère de partage et d’échanges où chacun donne son opinion à qui mieux mieux et à la vitesse d’un clic, pensant bien trop souvent que notre vision est la bonne, alors que c’est ensemble qu’elle se complète…

Moi à l’âge d’Océanne

Certes, c’est vertigineux d’être arrière-grand-mère à 62 ans, d’autant que j’avais imaginé et souhaité que mes petits-enfants mettent fin à ce « pattern » d’avoir des enfants en début de vingtaine. Comme je l’ai mentionné souvent dans les dernières années, la vie n’a de cesse de me rappeler que je ne suis pas toute puissante en ce qui concerne les choix de vie des gens que j’aime. J’aime cette formule qui s’est imposée avec force dans ma vie, sans y être conviée, « je ne suis pas toute puissante, mais tout aimante ». Enfin j’essaie de l’être, car comme le dit l’adage, c’est en forgeant que l’on devient forgeron. C’est en aimant, sans tenter de contrôler, que l’amour peut se déployer et donner des ailes et des racines à ceux qui nous suivent. Enfin, je l’espère, car en ce qui concerne l’amour, il y a un tel écart entre la théorie et la pratique. Je ne peux qu’être sincère dans ce désir d’offrir le meilleur de moi, bien que je ne cesse de faire des faux pas, pour sans relâche me réajuster afin que mes offrandes soient plus bienveillantes, justes et authentiques. Bref, aimer, ce n’est pas de la tarte mes amis, qu’on se le dise!

La vie avec un grand V, m’appelle donc à nouveau à reconnaître que je ne sais pas ce qui est bon pour l’autre et que même si je le savais en raison de l’expérience acquise, chacun a son libre arbitre, fait ses propres choix et suit sa voie. À ce titre et ma mère qui vit encore sera enchantée de me l’entendre dire, je n’en ai fait moi-même qu’à ma tête, suivant mon cœur et mes élans avec courage, inconscience et volonté. Comme cette détermination de vouloir accoucher à la maison suite à un premier accouchement particulièrement long et difficile, et ce, malgré les inquiétudes de ma mère… Or, il s’est avérée que ce fut l’une des meilleures décisions que j’ai prise, comme pour la plupart des choix importants que j’ai fait tout au long de ma vie. Comme j’aime infiniment ma vie et en assume entièrement les conséquences, ce serait la moindre des choses que j’octroie à ceux que j’aime le même pouvoir, et ce, sans savoir à l’avance où cela les conduira…

Christian Bobin a écrit : « Les moments les plus lumineux de ma vie sont ceux où je me contente de voir le monde apparaître (2). »   Consentir à ce qui est, sans rien vouloir changer ou améliorer, est somme toute assez reposant. Ma fatigue cumulée au fil du temps vient en partie de cette volonté qui m’habite de vouloir vivre autre chose que ce qui m’est proposé. « Surrender », se rendre au réel, sans chercher ailleurs, sans poser un jugement ou comparer, dans la confiance et l’abandon, en espérant que l’amour seul suffit, est un enseignement perpétuel, une science rarement acquise. J’en fais l’expérience sans arrêt.

Manon Rousseau. Septembre 2023

Sources :      (1)             Google. Étymologie de courage

                      (2)             Mozart et la pluie. Collection Entre 4 yeux, 1997