D’ombre et de lumière!

« L’ombre fut tellement aimé de la lumière qu’elle devint clarté ». Guy Corneau

Cette semaine j’offrais des exercices simples à des intervenants autour de l’esprit du livre « La science de l’intention » de la scientifique Lynne McTaggart (1). L’un des participants questionnait les véritables possibilités de cette science venue de loin et remis au goût du jour. En précisant mon raisonnement, m’est apparue que si je crois que la pensée crée et que nous ne sommes ni impuissants, ni victimes des situations dans lesquelles nous nous retrouvons, je suis cependant perplexe devant ces nouveaux oracles qui clament des changements instantanés et inespérés.  

Ce n’est pas que j’en ai contre les maîtres et les gourous, mais j’en appelle à l’humilité en ces temps d’enjeux complexes où nous sommes invités à transformer nos vies, à retrouver la joie et l’abondance en 2 « Master Class » de trois heures, pour la modique somme de 300$. Cela me titille d’autant, que ce qui me semble de plus en plus évident, c’est que le processus de guérison se marche un pas à la fois, qu’il demande infiniment de courage, de persévérance, de confiance, de travail et que nous ne sommes pas tous égaux sur ce chemin. J’ai la chance de ne pas souffrir de troubles graves de santé mentale, de maladies incurables, je n’ai pas d’enjeux financiers importants, j’ai un réseau sur lequel je peux m’appuyer et je suis aimée. Ajoutons que j’ai le privilège de travailler depuis plus de 40 ans en développement personnel, social et spirituel, d’être entouré de sages amis, d’intervenants, d’universitaires, de chercheurs de sens, de chamans et guérisseurs. J’ai partagé avec eux mille et un moyens de favoriser la prise de conscience, la guérison et tant de savoirs et d’expériences enviables.

Pourtant, malgré les multitudes de pépites et perles de sagesse récoltées au passage, j’ai de nouveau attrapé la Covid, suivi d’une infection respiratoire et vécu de l’impuissance et de la tristesse devant les drames de ceux que j’aime et de ce monde en guerre. Cependant, forte de mes 62 ans et de tous les cadeaux récoltés sur les sentiers sillonnés, j’ai traversé ces épreuves avec plus de présence et d’amour. Ainsi, à chaque adversité qui se présente, je saisis et approfondis au passage quelques acquis qui entraînent dans leur sillage une certaine sérénité. Cela se manifeste différemment de fois en fois. De la dernière, je retiens ma capacité à accueillir l’autre sans jugement; l’authenticité et le respect dont j’ai fait preuve et la bienveillance, envers les autre bien sûr, mais aussi et enfin envers moi-même.

Ainsi, je suis mal à l’aise devant la promesse de devenir le champion de sa propre vie, de changer sa façon de penser et de retrouver la confiance et la joie en 2 temps et 3 mouvements. En fait, même si j’en rigole un peu, j’ai de la clémence pour ces enthousiastes aux égos ardent, qui n’ont pas encore touchés leur « Waterloo ». Ce qui me navre, c’est que de laisser miroiter un bonheur sans effort et rapide, ne fasse en sorte que les personnes qui y participent, ne se sentent que plus mal et incompétents faute d’y être arrivés.

Or, j’ai de plus en plus de compassion pour ce monde qui, à mon image, change lentement et j’ai la certitude que pour trouver ce qui nous rend lumineux, nous devons avoir grignoté nos ombres. Ce n’est pas que j’en ai contre le bonheur, au contraire, tout comme vous, je le recherche et le savoure, cependant j’en ai contre le fait que le bonheur soit devenu une obligation à plein temps. (1) Dans une société qui valorise la performance, la beauté, où nous nous regardons à travers les filtres des médias sociaux, nous voilà condamnés à briller et à être heureux.

Je dis souvent aux jeunes de méditer cette simple phrase: « Je suis ce que je suis et c’est suffisant ». Ce court adage de mon cru est le fruit d’une longue quête de perfection insatisfaisante, conjuguée à l’acceptation que nous faisons de notre mieux sur le chemin qui nous est proposé. Qui plus est, la vie m’a démontré plus d’une fois que le chemin est plus important que la destination. Ce qui me permet plus facilement d’en accepter les écueils et les imperfections, les miennes et par conséquent celles des autres

Humanité partagée
Dans les dernières années, j’ai d’accompagné de nombreuses personnes et groupes, dont plusieurs jeunes intervenants dans la vingtaine, etc. L’un de mes enseignements transversaux, c’est qu’ils soient à leur égard comme ils sont avec les personnes qu’ils accompagnent. Doux, patients, tolérants, authentiques, aimants, et ce, dans leurs bons comme dans leurs mauvais moments. Cela se traduit par accueillir ce qui est, ce que nous aimons et ce que nous jugeons, ce dont nous avons honte et que nous cachons. Lorsqu’ils pleurent et s’excusent de leur vulnérabilité, tentant de cacher leur fragilité, je remets au centre notre humanité et j’honore la sensibilité des intervenants. C’est un long et patient travail de guérison que celui qui nous amène à ne plus séparer ce que nous aimons de nous de ce que nous maudissons et à mettre de l’amour sur l’ensemble de l’œuvre que nous sommes. Et puis j’aime les intervenants, ils m’attendrissent, je les trouve beaux et touchants, j’aime leur sincérité, leur attention aux autres, leur désir d’améliorer ce monde et de soutenir ceux qui souffrent. C’est cette compassion, cette empathie qui nous rend perméable à la détresse d’autrui, nous donne envie de contribuer, de mettre de la confiance là où se trouve le désespoir, de l’estime là où se trouve le mépris de soi.

Lorsque je transmets le fruit de mon travail et de mes expériences, on me fait souvent le reflet de ma sagesse, de ma bienveillance, de mes nombreux savoirs, etcétéra. Or, sans occulter les compliments, ni tout ce que je suis et ce que j’ai cumulé au passage, je me ramène vite sur le plancher des vaches, témoignant de mon humanité et de mon imperfection. Ce n’est pas de la fausse modestie, mais pour avoir mis des personnes que j’ai admirées sur un piédestal ou pour y être moi-même allé, je sais ce qu’il en coûte d’accepter cet état de fait pour rehausser nos égos. Nous sommes inévitablement appelés à tomber du socle pour avoir été vu dans nos petitesses et notre humanité. Ainsi, je ne cherche plus à glorifier mes enseignants et je revendique mon humanité, parce que je mesure combien ombre et lumière coexistent en toute amitié.

En témoigne mieux que des mots nos propres vies. C’est de la précarité que m’est venue la débrouillardise, le désir de culture et la soif de savoir. C’est de l’invisibilité qu’est né la leader sociale que j’ai été et l’enseignante que je suis. C’est de la soif de sens et d’être aimé que l’ouverture à des chemins moins fréquentés est advenue. Des chemins qui se sont avérés de véritables sources où je me suis abreuvée. C’est d’un sentiment de solitude enfant, qu’a fleurit la femme de reliance que je suis, celle qui cherche à relier mais plus encore à marier paroles et écoute, à rassembler ce qui semble diviser. Enfin, il m’a fallu beaucoup d’amour et d’estime pour cesser d’opposer intelligence et sensibilité et en faire de précieuses alliées. J’aime que nous soyons faits d’ombres et de lumières, que tout puisse exister sans que nous cherchions à nier l’une ou l’autre des composantes qui nous constitue. Humanité et divinité au cœur même de ce que nous sommes… Rien de moins mes amis, rien de moins.

Voilà pourquoi le message de Jeff Foster fait tant écho. « Je pense que l’un des plus grands côtés de l’ombre de la spiritualité en général est qu’il peut nous faire perdre contact avec notre humanité. On rêve du paradis et on oublie la terre. Au nom de la paix, nous partons en guerre contre nous-mêmes. Au nom de la non-violence, ou du moins de nous voir comme non-violents, nous réprimons, supprimons, nions et cachons des aspects de nous-mêmes qui ne sont pas conformes à cet idéal, cette image… » (4).

Artiste: Lucy Grossmitith

Rien ne s’oppose
En m’autorisant à vivre entre ombre et lumière, je me sens moins écarquiller, et ce, dans tous les aspects de ma vie. Me voici à aimer le mois de janvier, ce moment où la nuit est plus longue que le jour. J’apprécie la pause et l’intimité que seule l’hiver peut nous apporter. Pendant qu’il fait froid et blanc, que le vent souffle au dehors, je nourris ce qui a besoin de soin, je me love dans de grosses doudous et laisse toutes choses se déposer, comme la lie au fond de la bouteille. J’écoute ce qui a besoin d’être entendu, je laisse le silence faire son travail. Parfois il est plein et c’est un vide habité, parfois, il n’y a rien et j’y cultive la confiance que tout passe et que quelque chose est à l’œuvre sans que je n’en sois la responsable ou la créatrice. C’est reposant!

J’ai eu grand bonheur dernièrement à pleurer seule dans la nuit pendant que la maison dormait. Lorsque j’ai laissé les larmes coulées sans faire de procès à ma sensibilité ou aux raisons que j’avais ou non de pleurer, j’ai pris conscience de la qualité de la consolation que je m’offre. Sans rien attendre d’autres que ce qui est au creux de moi ou qu’une autre personne ne vienne le faire à ma place. Ce fut très doux et j’ai très bien dormi! « Je te salue silence, il y a longtemps que je ne m’étais pas revu » (3), a dit Gaston Miron.

J’ai été heureuse par la suite de constater que bonheur et larmes ne sont plus séparées. Ils émergent d’une même source, dansent ensemble, se touchent et se rencontrent. Telle la danse du jour et de la nuit, qui à l’aube et au crépuscule se croisent et se fondent l’un dans l’autre. Ainsi lorsque l’ombre se présente, je peux y percevoir la lumière derrière et le fruit qui est déjà à mûrir. De même, lorsque la joie m’inonde, je m’y abandonne sans la retenir. De toute façon, ai-je d’autres choix que de consentir à l’impermanence des choses?

Le cadeau du temps qui passe est de percevoir que la source du bonheur est de vivre en conscience. Ainsi, même si je n’ai pas le pouvoir de contrôler tout ce qui advient, j’ai celui de choisir la manière dont je perçois la situation. Ce qui est déjà beaucoup, vous en conviendrez. Conséquemment, je peux au pire moment, nourrir la joie et choisir des pensées qui bénissent en attendant le retour du beau temps.

Ainsi, janvier a cédé sa place à février, laissant l’inspiration faire lentement son travail jusqu’au point final de cette chronique.

Manon Rousseau / 03 février 2024
Sources :

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