La sagesse de la justesse

« Fais toi du bien sans faire de mal aux autres et fais du bien aux autres sans te faire de mal » Proverbe tibétain

Quel mot immense, justesse. La justesse du don, la justesse de l’action, la justesse de la parole, du temps qui met tout en perspective. Comme je l’ai cherché et trouvé en cours de route, oscillant telle une équilibriste sur un fil, me retrouvant parfois au centre, en équilibre, pleine de gratitude pour ces instants de plénitude. Heureusement, je n’en fais plus un but, mais un processus en continu. Voilà pourquoi je préfère en début d’année, préciser les états que j’ai envie d’habiter plutôt que d’avoir des objectifs à rencontrer. Nous sommes sans cesse en marche dans un perpétuel mouvement, aussi bien l’accepter. La vie n’est jamais statique dit Jacques Salomé, « elle est dans une mouvance constante qui nous surprend, nous étonne, nous comble, nous bouscule où nous dérange. C’est notre responsabilité de ne pas la forcer, la violenter ou la maltraiter, mais d’apprendre à l’apprivoiser, l’encourager, l’aimer et l’honorer ». Je crois que la parabole qui dit « Pardonne non pas une fois, mais 7 fois 77 fois » s’adresse à nous personnellement. Elle nous rappelle notre humanité et la patience dont nous devons faire preuve dans nos recommencements, nos doutes, nos manquements et questionnements. C’est à ce prix que nous pouvons un jour l’offrir aux autres.

La justesse du temps
2022 fut une année florissante pour nous et nos proches en imprévus, drames, maladies, décès, etc. J’ai oublié plus d’une fois que les cadeaux et les fardeaux sont entremêlés. L’un disant à l’autre : « Vois-tu que je suis un cadeau déguisé en drame », tandis que l’autre fanfaronne dans son coin prétextant que lui seul est à saveur de bonheur. Il me semble que la différence notoire entre les deux, c’est le temps que cela demande pour que le trésor se révèle. Le cadeau se déballe à l’instant, les épreuves et les difficultés révèlent leurs perles au fil du temps. À preuve cet arrêt de travail en début 2022, qui m’a amené à quitter la fonction de directrice, épuisé d’avoir tant donné pour chercher des chemins de traverse pour plus d’équité, de justice sociale, d’entraide et de partage de ressources. Or, cet arrêt forcé m’a fait l’immense présent du temps, du temps pour me reposer et laisser déposer ce que mon âme réclamait depuis quelques mois déjà, pour la suite des choses. Tout doucement, deuil après deuil, la directrice a pris le bord, son temps étant bel et bien révolu. Cela a demandé trois saisons pour advenir.

C’est aussi grâce au temps, à l’eau qui coule sous les ponts si je demeure dans la gratitude malgré les nombreux écueils de la dernière année. Ce temps de qualité au quotidien avec mon amoureux, nous a permis de toucher à la douceur de ce lien et à tout l’amour qui circulent entre nous lorsque nous sommes habités et en présence et aussi de mieux discerner la part d’ombre qu’il reste à peaufiner lorsque nos égos se montrent le bout du nez. J’observe au quotidien cette bonne volonté qui nous relie, ce désir que nous avons de mettre de l’attention, du don, du pardon, de l’amour, de la maturité relationnelle, de l’authenticité, au cœur de cette relation devenue si précieuse au fil des décennies.

Et puis ces quelques semaines passées avec les deux plus jeunes de nos petits-enfants cet été. Même si ce fût un temps imposé qui s’est étiré plus que prévu, il nous a gratifié de mamours, fous rires, grattages de dos et de tant de petits moments simples et pourtant si puissants de douceur.

Souvent dans cette année, j’ai goûté à la fois à des moments de paradis dans l’âme qu’à des torrents de larmes. J’ai été invité, que dire convié avec force, à revisiter des blessures de mon cœur sensible et accueillant et à y déverser des tonnes de douceur et de bienveillance. Encore là, j’y ai mis le temps et j’ai une immense reconnaissance pour mes proches parents et amis, qui ont été d’un immense secours lorsque je perdais pied. Je suis éminemment choyée d’avoir tant d’êtres aussi sages et aimants autour de moi. Parfois, cela a eu l’effet d’un miracle. C’est toujours le cas, lorsque l’abondance d’amour et d’accueil s’infiltrent et viennent bercer le chaos de la vie. Qui plus est, j’ai aussi découvert que j’avais rivée au cœur cette certitude de la présence de Dieu en ce monde; je me surprends à le percevoir en toutes choses et en moi, comme un souffle qui s’est installé à demeure (1).

Qui plus est, en échangeant le temps passé devant un ordinateur pour le travail, en moment pour bouger, rêvasser et me soigner, ce fut un véritable baume pour mon dos blessé. J’ai touché à une joie profonde à pagayer debout sur le paddleboard de ma fille surfant sur les vagues d’un lac bleu ou à pédaler de nouveau sur une bicyclette. Je me suis sentie plus forte et puissante sans cette douleur constante.

La justesse du don
J’ai été fragilisé par des événements qui se passent à chaque jour dans le monde, mais qui nous ont touché directement puisqu’ils touchaient nos proches, proches, proches (souffrances physiques et mentales de parents vieillissants et de jeunes se cherchant, séparation, crime violent, dépression, angoisse, anxiété, etc). Je me suis promenée entre compassion et apitoiement, entre détachement et impuissance, entre besoin d’espace et accompagnement, entre lâcher-prise et attachement. Ainsi, très humblement, j’ai pu mesurer le chemin qu’il me restait à parcourir pour aimer en laissant aux autres la responsabilité de leur vie, confiante que tout cela ait un sens même s’il me dépasse.

Une phrase sur la compassion, me revient comme un mantra pour 2023 : « Ressentir de la compassion est l’inverse de ressentir de la pitié et de l’apitoiement. L’apitoiement engendre une émotion d’impuissance alors que la compassion nous indique la voie qui se traduit comme suit: je comprends ta souffrance mais je ne la vis pas, tu as de nombreuses possibilités et forces, tu n’es pas une victime. Lorsque je tombe dans la pitié où l’apitoiement face à l’adversité de mes proches, le message que je lance est « tu souffres, c’est épouvantable et je souffre avec toi (2) ». Je contribue ainsi à victimiser ceux que j’aime et moi aussi par le fait même, prise dans l’impuissance d’une sauveuse éprouvée. Or, si j’ai appris quelque chose dans cette année qui m’a contrainte à l’humilité, c’est que je ne suis pas toute puissante, seulement tout aimante.

J’ai eu des périodes emplies d’espérance, suivies de moments de découragement, dépendamment que je sois dans la confiance ou pas. Assurément, un autre sujet d’expérimentation est sur l’art de lâcher prise : respirer, ne pas lutter contre ce qui est, rester calme et détendue loin de l’emprise du mental et faire confiance en cette source d’amour infinie qui vit en moi, autour de moi et en chacun des êtres humains que j’aime infiniment. Lâcher-prise ce n’est pas abandonner ceux que j’aime, ce n’est pas baisser les bras face à l’adversité, c’est remettre ce que je ne contrôle pas et marcher la route confiante et légère.

Une citation trouvée ce matin inopinément sur Facebook, résume avec tant de justesse ce que je tente d’exprimer sur la gratuité de l’amour. « Je te vois. Je te vois tel que tu es au fond de toi, sans te juger où te blâmer, en accueillant ce que tu es et sans attendre quoi que ce soit de toi. Je te vois sans mes attentes et mes projections qui pourraient abîmer et voiler ton identité profonde. Je te vois dans toutes tes dimensions, riche de toutes tes expériences. Je te vois car je sais que tu es un être complet, parfait. Je te vois dans ma façon de t’accueillir sans condition et faisant cela, je te permets à toi aussi de te voir et de t’accueillir tel que tu es » (4).

La justesse de l’action
« Cette solitude intentionnelle que la femme installe dans sa vie, lui permet de contacter un état de communion totale avec elle-même. Le mot alone en anglais veut dire initialement all One, c’est à dire totalement Une. Ainsi reliée avec son espace sacré, elle peut aller dans le monde de l’âme et aussi appeler l’âme vers le monde (5) ». Clarissa Pinkola Estès

Lorsque dans l’action, je manque de justesse, que j’en fais plus que le client n’en demande, que je souhaiterais être toute puissante, déjouer le temps, changer les évènements, mon corps se désajuste. Actuellement, mon estomac me rappelle de traverser ces moments d’incertitude avec plus de présence et d’indulgence. L’indulgence, c’est le baume qu’on étale sur les égarements d’autrui (lui redonnant ainsi sa part d’humanité), et qui apaise par le fait même nos propres égarements et nos réactions démesurées (3), dit la psychologue Rachida Azdouz. La présence, c’est lorsque je ferme les yeux, seule ou avec vous, en silence et que je retourne à la source, posée, et calme, percevant profondément que tout est là et que tout est juste.

Ainsi, la justesse dans l’action m’appelle à me retirer avant de dire oui, d’accepter une proposition, d’aller vers l’autre, d’intervenir. J’ai beaucoup de bonheur à donner, partager, transmettre, cuisiner, accompagner, jardiner, aimer, cependant mon système digestif m’indique de prendre de  toutes petites bouchées. Le retour qui m’a ramené vers moi n’est pas terminé, il semble que la première personne pour qui je dois avoir du cœur en ce moment est moi-même.

J’y vois aussi et de plus en plus, un bagage de femmes transgénérationnel, un héritage et un legs qui ont traversé les siècles, que je porte encore et que porte les femmes que je côtoie, toutes générations confondues. J’entends la fatigue émotionnelle, la charge relationnelle, le stress, l’épuisement des femmes qui ne cesse de s’accentuer. J’en ai bien pris la mesure lorsque ma belle-mère que j’aime profondément et qui était elle-même un puit d’amour dans lequel nous allions puiser, est morte cette semaine. J’ai eu accès à un livre de recettes qu’elle conservait précieusement puisqu’il lui venait de sa mère. « Le livre de la mariée » édition de 1930, était remis aux femmes lorsqu’elles se mariaient et il est extrêmement éloquent quant aux tâches qui incombaient aux femmes. Allant du charme d’une maison agréable à celui d’une femme aimable et chaleureuse, à la couture, la cuisine, le divertissement des invités, les soins de beauté et de santé de la maisonnée, les poisons et les antidotes, la correspondance, le magasinage, le choix de l’ameublement, le budget familial, bref l’ensemble des charges qui sont reliées à prendre soin des autres. Il semble que ce bagage soit difficile à déposer et que de prendre soin demande infiniment de justesse et d’attention. Par conséquent, j’en fais un projet pour les années à venir, reconnaître combien l’amour est précieux et de ce fait de l’offrir et le vivre en toute conscience.

« Pour une femme, il est de la plus grande importance de mettre sa vie et son esprit à l’écart de l’uniformisation de la pensée collective et de développer les talents qui lui sont propres, car ainsi elle va éviter que son âme et sa psyché ne glissent vers la servitude » (6).

Enfin, il est souvent dit que le masculin inclut le féminin. Pour ce texte, j’inverse le tout puisque je reconnais que ce qui fait partie intégrante du bagage des femmes, se retrouve de plus en plus chez nos fils et petits-fils et certains hommes aux cœurs bons et sensibles. Il m’apparaît important de le souligner et de les inclure dans cette réflexion puisqu’ils sont nombreux autour de moi.

Manon Rousseau / 06 janvier 2022

Sources :

1) Sacrée quête, Pas pratiquants les québécois, Édition Novalis https://www.manonrousseau.com/2022/10/sacree-quete/

(2) Guérison, compassion et protection, AdA, éditions 2017

(3) Éloge de L’indulgence. Rachida Azdouz https://vasteprogramme.ca/2022/12/22/eloge-de-lindulgence/

(4) Via Géraldine Hamelin. https://www.facebook.com/geraldine.amelin.07

(5 et 6) Clarissa Pinkola Estes. Extraits Femmes qui courent avec les loups. https://www.le-filrouge.fr/post/femme-sauvage-clarissa-pinkola-estes fbclid=IwAR1VBObSbfvkeE4FA7SWbSiCmO6nZFI7QkOwxJpvHWyq4I89fDQt_7FkAwk

4 réflexions sur « La sagesse de la justesse »

  1. Joanne Bédard

    C’est touchant de te lire Manon dans ta quête de justesse. Quel équilibre fragile qui sculpte nos paysages. Je me reconnais dans plusieurs passages de ton texte, fin d’année fracassante de mon côté, arrêt foncé par une cheville cassée. Jel suis obligée de ralentir et de regarder ou je mets mes pieds. Je vois que tu rends ce passage fécond et je te souhaite que cette nouvelle page de ton histoire soit ajustée à qui tu es. Ton texte est vraiment magnifique, tu as le don de la transmission. Toute mon affection, Joanne

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  2. Mathieu

    Bonjour,

    Je ne suis pas à l’aise pour dévoiler ou communiquer sur ce qui m’habite, mais j’avais envie d’exprimer à quel point votre texte m’a profondément ému.

    Vous avez cité dans votre bio Christian Bobin : « Combien de mois, combien de vies faut-il pour écrire une phrase qui égale en puissance la beauté des choses ? ».
    Je pense que vous y êtes arrivé dans bien des phrases que vous avez écrites, et notamment dans « moments simples et pourtant si puissants de douceur ». Ces simples mots expriment une partie des paradoxes de mon monde, ce qui m’anime, ce que je recherche. Ca résonne tellement en moi… La simplicité ET la puissance ET la douceur. Vous avez révélé à moi une de mes cordes.

    Humblement Merci.

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    1. Manon Rousseau Auteur de l’article

      Quel doux et magnifique commentaire. Merci mille fois d’avoir pris le temps de partager sur le simple pouvoir de la douceur.

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