Depuis que je suis toute petite, je ressens souvent profondément, ce que les autres éprouvent, allant de la joie, à la colère, à la souffrance et tout le tralala. Semble-t-il, ai-je lu dernièrement, que ce soit le lot des hypersensibles, et hypersensible je le suis, assurément. Tant aux bruits, qu’aux paroles, à la violence, à la souffrance, à la beauté, qu’à la nature, la musique, aux êtres vivants, etcétéra. C’est un magnifique cadeau qui me demande conscience et attention tant dans son dévoilement que dans ses manifestations.
Cette sensibilité à l’autre, a souvent eu pour effet de me mettre en action. Ce qui fait que si vous vous mouchez ou que votre nez coule, je vous tends un mouchoir et vous donnerai probablement un truc d’herboristerie pour que votre situation n’empire pas et si vous êtes un proche, il y a une bonne chance que je vous offre un bon pot de soupe maison. Si vous tombez, je vais de ce pas chercher mon onguent miracle aux herbes ; si vous pleurez, je vais demeurer là attentive près de vous, ou vous bercer, attendant que vous soyez consolés; si vous chantez un chant doux ou puissant, j’ai de bonnes chances que les larmes me montent au yeux et que j’ai la gorge nouée ; si vous criez fort après quelqu’un, je souhaite aller le secourir et si c’est après moi, je n’ai qu’une envie, celle de fuir.
Bref, devant la souffrance, la maladie, la détresse, je suis assez secourable, parfois trop, je ne suis pas travailleuse sociale par simple hasard. Ce qui fait qu’à certains moments, lorsque je suis enrhubée et balade, je rêve en cachette qu’un pot de soupe atterrissent par quelques heureux miracles sur ma table de cuisine, ou encore d’une main ou d’un mot compatissant et lorsque cela ne se passe pas, je me sens parfois bien misérable. Ainsi, j’ai expérimenté plus d’une fois les excès de mes prédispositions naturelles.
J’ai bien compris le principe le jour où un prof d’université, nous avait offert un enseignement sur le niveau de responsabilisation de chacun. Or, il disait en substance ceci : Sur une ligne droite, nous nous retrouvons positionner aux deux extrémités, à un bout ceux considérés comme irresponsables et à l’autre ceux estimés comme étant hyper responsable.
Irresponsable _________________________________________ Hyper responsable
En gros et en prenant des raccourcis, les irresponsables étant ceux qui ne sentent responsables de rien, qui croient que les autres sont fautifs, qui blâment la vie, la société, leur enfance, leur professeur, etc. bref, ceux pour qui, ce n’est pas leur faute. Quand aux hypers responsables, évidemment, ils se condamnent en premier, s’excusent à l’avance ou plutôt 2 fois qu’une, cherchent ce qu’ils pourraient faire, s’ils en ont fait assez, s’ils auraient pu en faire plus, bref, c’est de leur faute.
Bien sûr, à cette époque, je me situais à l’extrémité du spectre dans la catégorie hyper responsable et j’étais convaincu que j’étais bien meilleure que ceux qui se victimisent sans cesse. Or, ce professeur de nous rappeler, que d’un bout à de l’autre de l’échelle, nous étions tous gravement atteints. Pour chacun des protagonistes, l’objectif étant le même : que chacun fasse un bout de chemin afin de se rejoindre au milieu. Vous l’avez compris, les personnes irresponsables ayant à prendre davantage leur responsabilité et les hypers responsables à cesser de prendre celles qui ne leur appartiennent pas.
Depuis cet enseignement que je n’ai jamais oublié, je suis plus humble devant ce trait de caractère qui est le mien, je ne m’en enorgueillis moins. Je dois aussi demeurer très attentive devant ceux qui se posent en victime, car je fais encore des irruptions, dans le sens de boutons et d’interventions. J’apprends depuis plus de 50 ans à jongler avec bonté, gentillesse, empathie et compassion, sans que les balles ne s’entremêlent pour devenir aide, protection et sauvetage. J’ai un rappel très puissant pour m’aider en ce sens, « m’a-t-on demandé mon aide » ? Sans demande, aucunes interventions. Bien sûr, je me prends encore les pieds dans les fleurs du tapis, ça m’est arrivé dernièrement. Cependant, c’est de plus en plus rare, bien que je sois encore pleine de bonne volonté, je suis aussi plus fatiguée. La sagesse vient avec la fatigue, nous disait le grand Languirand.
Malgré tout, je vous fais un aveu : je préfère encore ceux qui en font un peu trop, au risque de se tromper, à ceux qui se retirent en jouant les offensés, que voulez-vous, chez moi c’est inné.
Et puis, il me semble que ce monde a tant besoin de bonté, de gentillesse, de « caring », d’attention les uns pour les autres. Rien ne me touche plus qu’un seul geste ou un regard empreint de bonté. La bonté est ce qui m’émeut et me chavire le plus. J’aime la bonté en film, en livres, en amour, en poésie, en nature, en vraie de vraie. De la bonté tout est à naître : la fraternité, l’altruisme, l’indulgence, la mansuétude, l’amabilité, la bienveillance, la générosité, enfin tout ce qui donne du sens à nos relations et nous sort de la fermeture, du jugement, de la dureté, de l’égoïsme et de la barbarie.
C’est d’ailleurs l’un des cadeaux de ce que l’on nomme hypersensibilité, car c’est de ma révulsion à la hargne, à la violence et à l’inhumanité, qu’est née mon amour et mon désir de bonté et de tout ce qui en découle.
Manon Rousseau
Février 2019