Sacrée Quête!

Me voici publié une deuxième fois dans un collectif d’auteurs qui portent un regard sur la pratique religieuse d’aujourd’hui. Une réflexion à la fois intime et collective puisque ce livre fait la démonstration de la pluralité de pratiques en 2022. 

En guise d’introduction, j’aimerais citer les mots de Robert Vachon, prêtre catholique et pionnier de l’Institut interculturel de Montréal, puisqu’ils témoignent à la fois de ma démarche et de mon appréhension à en attester publiquement : « On m’a demandé un témoignage écrit de mon expérience spirituelle. Je veux bien m’y prêter. C’est un risque que je prends ! Ma confession, en effet, pourrait paraître, à ceux qui n’ont pas une expérience analogue, soit comme insensée, soit même comme sacrilège43. » Il ajoute : Le témoignage est la nourriture du dialogue. Accepter les témoignages des autres, les inscrire dans un dialogue plus ample et non moins profond que celui connu jusqu’alors, voilà une des plus grandes tâches de la spiritualité contemporaine. Je crois que les religions dites païennes sont de grandes religions et spiritualités, aptes à purifier et à accomplir les grandes religions dites civilisées. Une bonne suerie amérindienne équivaut pour moi à une bonne retraite fermée44.

Je souscris à cette vision puisque je la vis et l’expérimente sans cesse depuis plus de quarante ans. Je suis une chrétienne, chercheure, communicatrice, guérisseuse, dont la quête spirituelle s’est nourrie tant d’expériences chrétiennes que de rites de passage issus de différentes traditions. J’aime la part de mystère et de divin insufflée au cœur de chacun. À l’instar d’une mentore, je fais mienne cette citation de Gandhi : « La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre. » Ainsi, j’ai pu m’approcher du mystère, tant par des cérémonies religieuses que par des rites autochtones, chamaniques, soufis, etc. J’y ai vécu des moments de grâce infinie où l’esprit soufflait et divinisait l’expérience. Comme Robert Vachon, je crois aussi que l’on ne rejoint la foi et l’expérience de l’autre qu’en essayant de rejoindre le mystère qu’elles essaient d’exprimer.

Mouvance et transformation
Bien que je me sois parfois sentie écartelée entre ces différentes pratiques, en raison notamment des jugements et des a priori provenant des deux côtés de la barrière, ce chevauchement a enrichi ma foi et mon lien avec le divin. Comme j’en ai déjà témoigné, il est difficile, voire suspect, d’être chrétienne à notre époque, et pour certains chrétiens plus dogmatiques, il est tout aussi suspect, voire dommageable, de fréquenter d’autres voies spirituelles.

Certes, Bouddha et Mooji, le sage indien compatissant, ont une plus grande cote de popularité́ par les temps qui courent. Ils sont prisés tant dans les chaumières que sur les réseaux sociaux. Dernièrement, un ami mentionnait sur le très populaire Facebook que c’était la fête du Bouddha, et beaucoup de gens commentaient sa publication, le remerciant au passage du rappel de leur essence, de leur nature profonde. Une autre mentionnait qu’elle avait envie de faire le bien autour d’elle; quelqu’un lui a répondu qu’il avait envie d’entrer dans sa secte.

Il n’est pas surprenant que les religions soient vues avec méfiance, surtout la catholique, qui est plus près de nous, et qui, par conséquent, a laissé son lot de blessures dans notre société́. Malgré́ ces erreurs, je trouve tout de même que nous avons jeté́ le bébé avec l’eau du bain, rejetant en totalité le message du Christ pour vilipender tous ceux et celles qui l’ont porté́ au travers du temps. Bien sûr, les religions ont les mains couvertes de sang, même celles qui se trouvent à des milliers de kilomètres de nous, et que nous espérons sans taches.

Je me rappelle un reportage sur le moine Rinpoché qui retournait au Bhoutan. Il venait y baptiser des centaines d’enfants, et comme il revenait des États-Unis, une bonne dizaine étaient nommés Georges Bush en l’honneur du président. Alors qu’il faisait le tour des monastères où des centaines de petits garçons étaient éduqués pour devenir moines, je me demandais pourquoi il n’y avait pas de petites filles, et s’il y avait aussi eu des agressions au sein de ces monastères.

Que l’on me comprenne bien, je ne cherche pas à diaboliser une religion plus qu’une autre. Au contraire, je cherche à faire ressortir qu’aucune n’est blanche comme neige ou noire comme l’encre. D’ailleurs, pourquoi en serait-il ainsi puisqu’elles sont portées par des êtres humains qui, comme vous et moi, sont aux prises avec leur part d’ombre et de lumière ?

Nous voulons des religions sans bavures et sans fautes, pures et sans souillures. Pourtant, elles sont le reflet de ce que nous sommes et de ce que nous avons été collectivement. Les religions, ou devrais-je plutôt dire les hommes qui les ont portées, ont appuyé l’avidité, le pouvoir, créé des guerres, des génocides, des fratricides, tué des millions de femmes, tenté d’éradiquer des savoirs. Aujourd’hui, en Occident, les religions en paient le prix et l’adage biblique qui nous rappelle que l’on récolte ce que l’on sème s’applique bien à leur situation.

Cependant, il m’apparaît qu’à l’instar des êtres humains, les religions changent et se renouvellent, qu’elles sont aussi en mouvance et en profonde transformation. Ainsi, Développement et Paix, le mouvement de solidarité sous l’égide de l’Église catholique, a fait campagne en 2022 autour du thème « Les gens et la planète avant tout », invitant les entreprises et les individus à réduire et à corriger les préjudices causés par notre consommation capitaliste.

Le prêtre de la paroisse où je demeure, qui est également mon ami, a été l’un des fondateurs du premier CLSC à Saint-Henri, travaillant une bonne partie de sa vie pour les ouvriers et pour plus de justice sociale. Le pape François a quitté le Vatican, et il demeure dans un minuscule appartement pour être en cohérence avec le message du Christ; et que dire des écrits de saint François d’Assise qui sont parmi les plus beaux poèmes en hommage à la Terre-mère ?

Bien sûr, tout n’est pas parfait. D’ailleurs, pourquoi faudrait-il que ce le soit pour que nous puissions participer aux rites des différentes religions et bénéficier des fruits du message transportés au-delà du temps ? Car, s’il y a eu le pire, je ne peux évacuer le meilleur. Bien que je sois une femme, une herboriste, une « sourcière » et que j’aie porté longtemps en moi les séquelles de la peur et de la haine des femmes institutionnalisées et instrumentalisées durant des siècles, j’ai aussi eu accès, au travers des chants, des psaumes, des récits et des rituels chrétiens qui ont traversé le temps, à des moments de grâce, de communion où je me suis délectée de la félicité de me sentir aimée gratuitement, complètement et totalement.

Une pratique renouvelée
Depuis quelques années, la voie et les rites chrétiens, les célébrations ont pris une place prédominante dans ma pratique spirituelle. La proximité, la gratuité et la régularité des rencontres, les pasteurs et les laïques engagés de ma communauté, le silence fécond des églises, la beauté et la paix du lieu; tous ces éléments ont contribué à ce que je fréquente et participe aux célébrations. Qui plus est, la profondeur et la justesse de la parole du Christ m’enchantent et m’enfantent. Sa miséricorde et son amour m’ont permis d’accueillir au plus près mes petitesses, mes fragilités et mes manquements. Au fil du temps, elles ont profondément modifié ma façon d’aimer. Comme le dit Christiane Singer, une écrivaine et une femme remarquable : « Il est mort le juge de mes frères. » Comment pourrais-je juger les autres et leur refuser d’être aimés, alors que j’ai été transformée par cet amour ? Par un mystère et une grâce que je ne m’explique pas, je ressens une parenté avec Jésus, et elle ne cesse de croître avec le temps, me ramenant sans cesse à lui. C’est d’ailleurs ce que je décris dans Indicible et mémorable rencontre, un témoignage publié chez Novalis, en 2021 46.

Ma pratique spirituelle et mes expériences ont confirmé qu’unique et universel ne sont certes pas opposés. C’est un ami prêtre qui m’a fait ce cadeau en me rappelant que ces deux mots possédaient la même racine latine. C’est aussi en partie grâce à cet ami que j’ai réintégré l’Église et que j’ai eu le bonheur de cheminer et d’approfondir cette foi qui me porte et me transporte. Ce social-démocrate engagé a su instaurer au sein de notre paroisse et des célébrations un esprit et des valeurs qui parlent du Christ, sans pour autant faire fi des doutes et des questionnements qui traversent l’Église d’aujourd’hui. Qui plus est, ses homélies et les comités mis sur pied sont enracinés tant au cœur de notre condition humaine que des grands enjeux mondiaux qui traversent notre époque.

Ainsi sommes-nous conviés à nous engager pour l’environnement, à réfléchir au fait que nous sommes coupés de la nature et aux conséquences désastreuses sur le vivant, nous incitant par le fait même à jardiner et à consommer local. Nous avons eu droit à des interventions bien senties sur la guerre en Ukraine, nous invitant au passage à prier pour Poutine, espérant une ouverture de cœur, sans oublier ce soir de Noël où nous nous sommes fait rappeler que le Christ serait probablement au centre-ville auprès des toxicomanes et des prostituées. Qui plus est, je salue son courage et son authenticité lorsqu’il affirme que l’Église est malade et cherche de nouvelles avenues, nous invitant de ce fait à prendre parole, notamment lors des homélies, ce qui donne lieu à des moments transcendants et éminemment touchants. Je suis toujours émue lorsque mes pairs racontent leurs expériences personnelles de transcendance, de rencontres avec Dieu et son infini amour, de même que les chemins de traverse que Dieu a utilisés pour se rendre jusqu’à eux. Nous touchons collectivement à des moments de grâce où l’Esprit vient en chacun et chacune de nous. J’aime que ces prêtres amis et alliés prennent des risques qui sont dignes de ce révolutionnaire et fou d’amour qu’est le Christ.

Plus important encore, les célébrations communautaires sont vivantes, vibrantes, empreintes de joie. Nous nous retrouvons à chanter à pleins poumons l’Hallelujah de Leonard Cohen, portés par une chorale et un orchestre composé de jeunes jouant du djembé et d’un pianiste de talent. Tout concourt à la plénitude, à l’allégresse et à la connexion au divin. J’aime cet appel à l’intériorité, à la rencontre dans le secret du cœur, et le silence communautaire est chose rare, par conséquent précieux. Pour moi, c’est un lieu où le verbe se fait chair, s’incarne dans le réel, ainsi qu’une invitation, dans les évangiles proposés, d’aimer d’un amour sans mesure. Nous sommes bien loin des sensibilités de notre époque qui prônent trop souvent notre bonheur individuel avant tout autre. J’en ressors vivifiée, questionnée et portée par un désir de service et de dépassement. On y fait appel à mon intelligence et à mon cœur. Comme le dit si bien mon ami Stéphane Crête, dans son excellent livre Marquer le temps47, ce sont des célébrations chaudes. Cependant, force est de constater que ce n’est pas l’apanage de toutes les célébrations en Église. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous sommes engagés, dans notre paroisse, à redéfinir les valeurs et les façons de faire à l’œuvre dans notre communauté afin de nous assurer qu’elles perdurent, peu importe le pasteur en place.

Tous les chemins mènent à soi
Cet engagement en Église ne m’empêche pas d’animer des cercles de parole et de participer à des méditations et rituels provenant d’autres traditions. J’y vois une grande continuité, les uns me permettant un approfondissement de l’autre. Par exemple, j’anime depuis longtemps des cercles de parole issus de la tradition autochtone. Ce rituel simple, d’une profondeur étonnante, est porteur d’une longue tradition de paix. L’esprit du cercle de parole demande une grande qualité de présence à soi et à l’autre. Il nous rappelle, à travers la parole et l’écoute de cœur, que c’est ensemble que nous sommes complets, que la vérité est multiple, diversifiée et qu’elle ne se trouve pas dans un seul cœur, comme l’énonce si justement la phrase qui le conclut : « Plusieurs personnes, un seul esprit. »

Lorsque j’anime avec attention et révérence un cercle de parole et que l’esprit du cercle est présent, je ressens un sentiment de plénitude et de communion. De même, j’ai expérimenté à travers différents rituels préparés avec attention par des personnes de qualité un sentiment profond d’appartenir à plus vaste que soi, une fraternité, une confiance, un abandon et des moments d’expansion à saveur d’éternité. La nature, le jeûne et le silence, lors d’une quête de vision en territoire navajo, m’ont rappelé que je faisais partie du grand tout et que nous étions tous reliés, tissés du même fil, et par conséquent, responsables de tout ce qui est vivant. De l’oiseau au ruisseau…

Je souscris donc à cette réflexion de Stéphane Crête à propos des rituels : [Le rituel] envoie des messages clairs à notre inconscient par l’emploi de symboles et de gestes signifiants, insufflant de la poésie dans nos vies qu’il contribue à réenchanter. Il nous reconnecte avec les dimensions sacrées de l’existence, nous offre une tribune pour l’émerveillement devant le mystère de vivre. C’est un catalyseur de gratitude. Il nourrit notre âme, cette dernière est souvent affamée de beauté, de poésie, de nature, de silence48.

Évidemment, pour être fidèle à ce que je suis, j’y ajouterais « de Dieu », puisque, pour moi, les rituels ont considérablement contribué à me rapprocher du divin et de l’ineffable souffle qui nous habite. Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassiné en 1996, disait ceci : « Nul ne possède Dieu, nul ne possède la vérité et j’ai besoin de la vérité de l’autre. »

Plus encore, j’ai appris au fil du temps, en côtoyant différentes croyances, rituels et traditions religieuses et spirituelles, qu’elles se fécondaient mutuellement, et que, même si je n’adhère pas à toutes les croyances, j’honore toutes les expériences, y compris la mienne. Je remarque ainsi que mon expérience spirituelle se fait de plus en plus intime. Je suis en conversation dès mon réveil et jusqu’à mon coucher avec cette indicible présence qui m’habite et me constitue. Cette présence me parle de paix, de douceur, de miséricorde, m’enjoint à devenir une artisane de paix. « Heureux les doux, les affligés, les miséricordieux, heureux les cœurs purs, les artisans de paix, les humbles de cœurs », nous dit l’évangéliste Matthieu. Cet appel à aimer, à donner, à pardonner dans la joie comme dans l’affliction, dans la paix comme dans la colère, me guide et appelle au meilleur de moi. Cependant, ce n’est jamais simple ni facile à incarner dans la vie de tous les jours. Trop souvent, je me bute à mon humanité, et j’en suis bien incapable. Je me tourne alors vers celui qui est amour, et lui demande d’aimer pour moi, en moi, d’ouvrir ce qui est cadenassé, souffrant, apeuré, et je laisse l’amour agir. Je rencontre encore une grande impatience, je souhaiterais qu’il agisse avec promptitude, que ma volonté soit faite, que ceux que j’aime soient exempts de souffrances ou se transforment rapidement. Cependant, force est de constater l’ébahissement qui est mien devant la pertinence de ce qui s’accomplit. C’est rarement le chemin que j’aurais choisi, mais il est à l’image même de l’amour; libre, surprenant, agissant…

Je suis encore étonnée de cette certitude que j’ai de la présence de Dieu en ce monde; je me surprends à le percevoir en toutes choses. La beauté sous toutes ses formes, la douceur du jour, un orage torrentiel, la blancheur hivernale, une phrase, des enfants, la soif et la faim de l’âme qui nous tiraillent tous; tout le révèle. Il est au-dedans, au-dehors et tout autour. Je le chante, le danse, le prie et me laisse prendre par cet insondable mystère qui me fascine, me ravit et me nourrit.

Manon Rousseau / 2022

Sources: 43,44,45. Robert Vachon, « Une spiritualité pour le XXe siècle », Agora, [agora.qc.ca/documents/ une_spiritualite_pour_le_xxe_siecle.
46. Manon Rousseau, « Indicible et mémorable rencontre », Rencontrer le Christ, Montréal, Novalis page 45-50
Stéphane Crête, Marquer le temps, Montréal, Le Jour, p. 95.
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