Apologie du temps et de l’espace

Journée d’été au cœur du mois d’août et fin de vacances qui approchent à grand pas. Les cigales chantent, nous pourrions dire à pleins poumons, tellement leur chant est puissant dans la chaleur moite de cette journée caribéenne. J’aime la canicule, elle me ralentit, elle permet entre quelques pots de confiture de prunes qui refroidissent et une baignade, d’aller m’étendre au salon pour lire un peu. J’adore habiter le temps ralenti et le laisser s’écouler sans chercher à le retenir, juste me couler dedans. Avec la vie qui passe, je m’aperçois que je ne cherche plus tant à être vu ou à me démarquer, qu’à laisser défiler les heures sans attente de résultats que de trouver un peu de vents à l’ombre des tilleuls ou de regarder les oiseaux qui prennent un bain pour se rafraîchir.

Y a t’il plus grand privilège et bonheur que d’avoir le temps d’habiter l’espace? Les grands et les petits espaces, car la beauté se trouve en toute chose, tant dans la majesté du Saguenay perché au plus haut de la falaise, que dans une belle talle de monarde d’un rouge cardinal où viennent s’abreuver les oiseaux-mouches en quête de nectar sucré. Peut-être est-ce à force de côtoyer Bobin ou Tesson, qui entremêlent la poésie et l’amour simple du vivant et qui savent en capter la quintessence. À preuve, ces mots de Tesson après six mois d’ermitage sur le bord du lac Baïkal : « Des nuages barrent l’horizon, le soleil couchant les mûrit. Les quatre éléments jouent leur partition. Le lac accueille des copeaux d’argent lunaire, l’air est saturé d’embrun, la roche vibre de la chaleur accumulée. Pourquoi croire que Dieu se tient ailleurs que dans un crépuscule »? 1

Au fond, je suis une mystique de jardin. Rien ne me donne plus à croire au divin, que la beauté qui existe en ce monde lorsque j’ai le temps et le loisir de la contempler. J’ai déjà écrit dans une autre chronique que j’étais une chantre du quotidien https://www.manonrousseau.com/2020/02/chantre-du-quotidien/, le temps qui passe et me polit ne fait que le confirmer. Je ne m’ennuie pas lorsqu’il y a à proximité des fleurs qui chantent, des petits fruits à confire, des enfants qui jouent à proximité, des poètes philosophes sur ma table de chevet et un jardin dans ma cour. Tout cela me révèle l’or des jours. Bobin le résume en une phrase: « « Toutes les fleurs se ruent vers nous en nous léguant de leur vivant leur couleur et leur innocence. Les contempler mène à la vie parfaite. » 2

Voilà où j’en suis, je voyage autour d’un nuage, 8000 pieds carrés de terrain me comble, me baigner lorsqu’il fait vraiment, mais vraiment chaud m’enchante et me susurre combien je suis privilégiée. Marcher tous les jours au gré des chemins me permet de voir où en est le pommier, de saluer le fleuve ou la rivière, de vibrer avec des amis et des enfants et de regarder dans tous les arbres pour apercevoir la chouette que je n’ai jamais vue en vrai de vrai. En fait, je l’espère toujours et c’est l’une de mes quêtes estivales. Juste de l’entrevoir en photo me permet de l’attendre.

Du printemps à l’automne, le temps s’égrène au rythme des floraisons. Le muguet et le lilas amorcent la parade et donnent le ton à toutes les espérances d’enivrement que je vivrai au fil de l’été. S’ensuivent les pivoines, les fleurs du sureau blanc, le joli lupin, le basilic frais et tant d’herbes et de fleurs embaumantes qui soigneront l’hiver venu. Et puis, nous voici déjà au temps de la verge d’or, des rudbeckias et des échinacées qui nous parlent de septembre bien avant que les feuilles des arbres ne changent de couleur.

Tous ces petits riens de félicité additionnés, font en sorte que je n’ai plus guère envie d’ajouter ma voix aux mauvaises nouvelles ou de commenter tout ce qui cherche à diviser plutôt qu’à relier. Car, je me sens profondément relier et pleine de gratitude et d’amour pour tout le vivant qui m’entoure, qu’il soit près ou loin, connu ou inconnu. Que des forêts au loin brûlent en raison des changements climatiques ou que des enfants soient mal aimés, ici ou ailleurs dans le monde, je me sens tout autant concernée. Par conséquent, j’ai juste envie de préserver et de prendre soin de ce qui m’entoure. Si nous ne sommes pas connectés et nourris de cette prodigieuse beauté dans laquelle nous baignons, nous ne pouvons contribuer à l’aimer et la protéger.

Cette période prolongée de vacances me fait entrevoir dans mon rapport au temps, combien je marche vers la retraite. Dans la mesure où je consens de plus en plus difficilement à ce que
mon temps soit régulé par une horloge autre que celle qui m’est propre. J’ai rarement ressenti avec autant d’intensité cette aspiration d’étirer le temps qui passe ou plus justement de me fondre dedans et mon deuil de fin de vacances en est exacerbé. Cette nuit, j’étais à l’écoute d’une tristesse qui m’habitait et m’est venue la certitude que les passages liés à l’âge, sont empreints d’une grande sagesse. Ainsi, il y a un temps pour offrir et développer nos dons et savoirs par le travail que nous exerçons et un autre plus lent pour mûrir et contribuer autrement. Moins d’agitation, plus d’attention m’appellent et me chuchotent quelque chose que je ne sais pas encore tout à fait, mais qui néanmoins m’habite déjà…  C’est à suivre!

Manon Rousseau / Août 2021

Source :    1 Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson
                 2 Un assassin blanc pour neige, Christian Bobin

 

 

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