Il fait nuit, il pleut, je ne dors pas, je suis encore sous l’effet d’un film qui m’a touché le cœur, l’a fait gonfler d’humanité, pleurer, déborder comme la pluie chaude d’été.
Je suis là, tranquille dans la nuit à écouter l’indicible, la voix qui murmure à l’oreille des profondeurs. Je me sens complètement dans mon humanité et j’accueille d’être aussi touchée. Plus aucun jugement sur ce que j’ai longtemps considéré comme une trop grande sensibilité, faute d’autres mots pour la nommer. Je suis de ceux et celles qui sentent, ressentent avec force dans leurs entrailles ce qui se jouent et se trament en nous et autour de nous. Intérieur et extérieur intimement liés. Les pleurs d’un enfant en détresse, les rires de celui en liesse, la misère sans nom des enfants, jeunes filles, femmes et hommes exploités, humiliés, violés, maltraités. La cruauté et la souffrance tournées contre l’autre des bourreaux, la solitude des laissés pour compte, la terre et la mer qui appellent nos soins et notre amour, la joie d’être en vie totalement, la gratitude devant la beauté de ce monde, tout cela et bien plus encore résonne et trouve un écho en moi…
Je suis vous, vous êtes moi, je contiens l’infiniment petit et l’infiniment grand, rien n’est séparé et tout ce que je suis le sait, le sent, le ressent. Ce ne fût toujours facile, loin de là, il est long le chemin à marcher pour accueillir cela en partie et en totalité, surtout en Occident où le savoir est sacralisé et la sensibilité vue comme suspecte où signe de déséquilibre. Cependant je suis ainsi et aujourd’hui, non seulement j’accepte cet état de fait, mais je l’aime et l’honore. J’en accueille le cadeau et le fardeau. Il n’est pas toujours aisé de ressentir avec acuité, il faut apprendre à vivre avec ce qui est reçu, perçu, ne pas prendre des poids qui ne nous appartiennent pas. J’ai reçu dans mon corps, dans mon dos, mon estomac des charges que je n’ai pas toujours su gérer et qui parfois se sont transformés en mal à dit…
L’an dernier, j’étais attablée avec un petit groupe d’intervenantes, des femmes aimantes, inspirantes, d’une grande profondeur. Des femmes œuvrant auprès d’hommes violents, de personnes suicidaires, endeuillées, etc. L’une d’elles nous parlait d’un livre dont le sujet était les enfants « hypersensibles », dont le nombre serait de 15 à 20 % partout sur la planète. Une « hypersensibilité » qui serait due en grande partie, à une production plus grande de cortisol que l’on surnomme « hormone du stress ». Une hormone que nous produisons devant le danger pour réagir mieux et plus vite. On l’appelle l’hormone de la survie, elle rend plus sensible aux bruits, sons, lumières, ondes, changements de température, états, etc. Ce livre disait que de tout temps, dans les sociétés tribales, ces enfants plus sensibles étaient reconnus dès leur jeune âge comme des guérisseurs potentiels et que de ce fait ils étaient entourés et encouragés à développer leurs dons pour devenir les chamans, les guérisseurs de leur communauté. Partout, sauf en Occident où les enfants sensibles, non seulement n’était pas reconnus ni guidés, mais laissés à eux-mêmes et que de ce fait, ils étaient souvent seuls, isolés dans leur différence.
Je me rappelle combien cette discussion a eu le même impact sur chacune des femmes présentes, d’une part, elle a mis des mots sur ce que nous sommes et ce que nous étions enfants. Pour ma part, j’étais une petite et plus tard une jeune fille qui ressentait tout autant les conflits, les non-dits, l’injustice, le racisme, l’exploitation, que le beau, le sacré, la force de vie, l’unicité de chacun, sans savoir quoi faire avec tout ce qui palpitait et bouillonnait en moi et autour de moi. Sans surprise, je n’ai jamais aimé le gros rock n’roll, qui m’agressait littéralement, ni les drogues ou alcools forts (je ressentais déjà assez) et je me suis toujours sentie partie prenante de la nature. Je suis travailleuse sociale parce que je ne pouvais pas tolérer l’injustice et que je souhaitais offrir des outils et des moyens à ceux qui souffrent et herboriste parce que j’aime profondément les fleurs. Leur beauté, leur douceur, leur énergie m’apaisent, me recentrent et me soignent… De plus, toutes les plantes et les humains que j’ai rencontrés, accompagnés, aimés, m’ont permis tout doucement de m’estimer et de m’aimer, en reconnaissant combien nous sommes aimables et parfaits dans nos différences. J’ai si longtemps perçu ma sensibilité particulière comme une calamité plutôt que comme un don. Encore aujourd’hui, à 54 ans, même si ma vie en entier est le fruit de ce « don », de ce cadeau et que la récolte est abondante, il m’arrive encore de me sentir différente lorsque je ressens dans tout mon être avec force et intensité, tant la plénitude et la beauté que la souffrance et la cruauté.
Toutefois, j’ai de plus en plus, une profonde gratitude pour ce que je suis. Je reconnais les nombreux impacts positifs de cette sensibilité dans ma vie. Me sentir ainsi connectée à tout ce qui est, m’a rendu plus aimante, plus consciente, plus compatissante, plus responsable de mes paroles et de mes actes. Je sais que je participe à tout, que je contribue à ce qui est, alors je prends soin de mon humble contribution… Ainsi, je souscris en totalité à cette magnifique citation de Christiane Singer qui nous rappelle que « c’est lorsque l’on a touché sa misère profonde, le fait qu’en chacun de nous est le pire et le meilleur, quand on reconnaît que tout ce qui est en ce monde est aussi en moi. Ça aussi, c’est moi. Dans l’audace de se regarder, se produit quelque chose qui est de l’ordre de la grâce et l’on peut dire tel St-Jean : « Il est mort le juge de mes frères».
Ainsi, plus je ressens la haine et la peur, la mienne et la vôtre, plus j’ai envie d’être porteuse et semeuse d’amour, de paix, de douceur, de beauté, de prendre soin. Je porte, nous portons la terre entre nos mains, avec tout ce qu’elle contient. Ce n’est pas rien!
Manon Rousseau / août 2015
merci d’être TOI et de partager avec une si sensible présence
tu écris « Il est mort le juge de mes frères».et ça m’aide
j’accompagne actuellement mon jeune frère de 60 ans hospitalisé
souffrant de multiples problématiques mais surtout de l’inatention
de plusieurs soignants qui ne soignent plus mais travaillent a la chaine!
moi qui suis issue de cet univers hospitalier ,je suis infiniment troublée de la détérioration de soins auquelle j’assiste.
quand on se retrouve dans une position tellement vulnérable et que notre entourage ne le vois pas ,ne le sens pas,la tristesse qui monte est inexprimable parce qu’il n’y a pas d’écoute véritable
et alors l’envie de crier,de juger est très très grande
merci de tes lumières et de celles de st jean!!
france amala
Juste à te lire, je ressens tout l’amour que j’ai pour toi et la chance qu’a ton frère d’être accompagné par toi. Une amie à moi a ressentie la même colère que toi lorsque sa mère mourante était hospitalisé. Ta sensibilité devant la déshumanisation des soins est juste. Plus nous nous coupons de cette sensibilité, plus nous nous déshumanisons. Je crois que le personnel hospitalier est très coupé et que c’est une façon de se protéger pour survivre dans un contexte semblable. C’est d’une tristesse…
Bonjour Bella !
J’espère que tu reçois beaucoup de commentaires car tes articles portent à la reflexion et sont vraiment intéressantes.
Est-ce que j’ai le plaisir de vous connaître jeune homme?
C’est vraiment magnifique Manon. Merci sincèrement pour cette chronique. Je me suis retrouvée dans ce texte. Sache que c’est toujours agréable de te lire. Encore une fois, merci. xx
Il semble que ce cadeau de la sensibilité soit aussi un don de famille…
Bonjour ma chère soeur,
J’adore te lire, j’ai l’impression d’être plus prêt de toi, de recevoir tes sagesses à distance. Je ne fais pas toujours de commentaires, le temps me manque, mais je sais que tu sais que je ne pense pas moins à toi.
Ici, par contre, je devais absolument partager avec toi ce lien, un documentaire sur lequel je suis tombé dernièrement et que j’ai trouvé fascinant ayant 2 enfants si différents (dont un grand hypersensible). Evidemment, en le ragardant j’ai tout de suite pensé à toi et combien le sujet te fascinerait aussi, mais le temps à filer et je n’ai pas pu t’en parler. Et puis voilà, il y a pas de hasard, tu écris sur le même sujet et là je me dis qui faut pas laisser passer cet opportunité de partage.
Je t’aime, et dans ces moments là, je sais que malgré la distance, on est décidémment connecté l’une à l’autre par « ce lien invisible » comme tu le dis si bien…
Voici le lien de ce documentaire si extraordinaire:
« Ce que mes gênes disent de moi » sur ARTE (si jamais le lien ne marche pas, il se trouve aussi facilement sur you tube):
https://www.youtube.com/watch?v=yKg-WX0zoP8
Laisse-moi savoir?
xxx
G
Nous écrivons pour créer des ponts dans l’invisible, je suis si heureure ma petite sœur de te retrouver sur ces ponts…. Idem pour toi ma belle cousine Martine…