En dedans comme au dehors

«Écoute la voix des herbes, celle des arbres, des cailloux. N’oublie pas de saluer les montagnes, les forêts et les rivières avant que ton pied ne se pose sur elle. Fais-le selon ton cœur. Qu’importe si tu ignores tout des chants et des prières, la vie entend partout la vie. » Henri Gougaud

Je ne suis pas faite pour demeurer à la surface des choses, la vie m’a dotée d’une sensibilité telle, qu’elle fait chanter ou soupirer l’ensemble de ce que je suis. Ainsi, je ressens avec la même acuité, le bonheur tranquille et angélique du nouveau-né endormi, que la souffrance de la mère ours polaire et de son bébé en quête d’un morceau de glace pour se reposer. Je ressens de tout mon corps et mon cœur qui palpite ou se détend, tant les effets de la beauté et de la bienveillance que ceux de l’âpreté ou de la souffrance. Ainsi, je ne me sens séparer de rien, ni de vous, ni de l’enchantement et de la détresse en ce monde. Les choses ne sont pas à l’extérieur ou à l’intérieur de moi, nous sommes un et ce qui est dehors, est dedans. L’harmonie que je vais chercher dans les couleurs chatoyantes d’une journée d’automne, est en moi et cherche un chemin pour se révéler et se déployer. La nature est le plus grand miroir dans lequel je vais me mirer pour laisser émerger ce qui est.

Victor Hugo disait : « Chose inouïe, c’est du dedans de soi qu’il faut regarder dehors ». C’est une citation magnifique et pleine de justesse, cependant la vie m’a enseigné que l’inverse est tout aussi vrai. Lorsque parfois je n’arrive pas à accueillir ce qui se passe, la nature vient me rappeler que c’est aussi du dehors qu’il me faut regarder ce qui se trame en dedans. J’ai dû l’écrire de cent façons différentes au fil du temps, car cet humble et sage enseignement, m’a tant de fois conforté, lorsque de grandes bourrasques et de grandes crues m’ont traversées.

Ainsi actuellement, je me sens comme les plantes aux champs et au jardin, dont l’énergie se retire et redescend aux racines en préparation du long hiver.  Les démarches intellectuelles, les longues discussions m’épuisent. Évidemment, elles partent du haut, alors que j’ai besoin de descendre, de préserver mes énergies pour renouveler mes forces. J’ai envie de soupes, de compotes de pommes et de citrouilles, de doudous, de chaleur.

J’affectionne cette sagesse venue d’un temps pas si lointain, un temps où le langage et les expressions populaires étaient riche de sens et tirées de l’observation tranquille de la nature .   « Après la pluie, le beau temps; chaque chose en son temps; avoir la tête dans les nuages; il fait un vent à écorner les bœufs ». Ce temps où l’on vivait au rythme de la terre, où la froidure nous ramenait à l’intérieur, où l’on savait encore lire le vent, les animaux et les nuages. Me vient que pour savoir les lire, encore fallait-il prendre le temps pour les regarder. Tout près de la soixantaine, l’envie de regarder le temps qui passe m’appelle de plus en plus, sûrement parce que parmi les plus doux moments de ma vie, il y a ceux où je me fonds dans ce qui m’entoure et m’en laisse envelopper.

Cette amnésie, cette coupure individuelle et collective avec le reste du vivant arrive à son terme. Tous les Hubert Reeves de ce monde le réitèrent à l’unisson et la nature les seconde par un message tout simple, pour ne pas dire primitif et élémentaire: Nous ne sommes pas séparés du grand tout. De ce fait, nous ne devons et ne pouvons plus oublier, qu’un petit pangolin ou une humble chauve-souris déracinés de leurs habitats peuvent provoquer une effroyable pandémie. Je dis nous, parce que pour en être arrivés là, nous en portons tous la responsabilité, par conséquent, la conscience et le changement doivent se frayer un chemin en chacun de nous. À l’instar de Christian Bobin qui a écrit cette magnifique phrase « dans le monde de l’esprit, c’est en faisant faillite que l’on fait fortune », il me semble que ce n’est qu’en faisant faillite collectivement que nous retrouverons un trésor perdu, cette reliance avec ce monde si beau et si fragile à la fois. Dans l’évangile de Thomas, Loggion 1 à 8 : « Jésus dit : Le royaume, il est le dedans et il est le dehors de vous et lorsque vous ne ferez qu’un, alors vous irez dans le royaume ».

Et puisque rien n’est séparé, je passe de Gougaud, Bobin, Jésus, à une femme médecine Navajo, qui nous avait initié à sa culture et nous avait offert des enseignements d’une simplicité et d’une profondeur demeurée cacher aux Occidentaux que nous sommes. Du fond du canyon de Chelly, totalement immergée en nature sauvage, une phrase avait résonné si fort, qu’elle s’est imprimée, « Le paradis est entre tes bras ». Je le savais, l’avais reçu, vécu, entre perçu, touché quelquefois du bout des doigts et quelquefois de tout mon être.

Suffisamment pour avoir envie d’en prendre soin, de cultiver la sagesse simple de ceux qui ressentent encore cette reliance et qui croient que nous avons le pouvoir de faire advenir plus de paradis en ce monde. En l’aimant, en aimant, en s’aimant et Dieu seul sait que le verbe aimer peut se déployer en tant d’autres: honorer, se solidariser, partager, apaiser, s’entraider, réconforter, etcétéra.

De plus en plus, pour moi, c’est en cultivant des parcelles de terre et d’amour là où je suis  enracinée, tout simplement! Ce qui me touche, c’est le nombre grandissant de personnes qui croient encore qu’un monde plus beau est possible et qui cherche à le faire advenir. J’en suis et vous?

Manon Rousseau / Octobre 2020

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