Le temps des fleurs

Pour moi, dès le printemps et tout au long de l’été, le temps ne se mesure plus en heures, mais en fleurs. Tout débute avec les perces-neige, le tussilage, les narcisses, jacinthes et foisonnants pissenlits, qui sont parmi les premières fleurs à pointer leur nez alors que tout semble encore endormi sous la neige. Cet avènement printanier est le tout premier signe de recommencement après la longue espérance de l’hiver. Quel cadeau, lorsqu’arrive mai et le temps des violettes, de la pervenche, des anémones, du lilas, du muguet et des si jolis myosotis tout en délicatesse. Dès ces premières éclosions, je me mets à rêver fleurs et ce n’est pas qu’en songe, puisque du lever au coucher du soleil, je m’imprègne de leurs étonnantes effluves et courent après chacune d’elles afin de n’en manquer aucunes.

Ainsi, j’imagine déjà les fleurs dans mes plates-bandes, je sais celles qui sont bien positionnées et celles qui ont besoin que je les replace au bon endroit pour qu’elles puissent s’épanouir à leur guise. Je les connais comme on connaît des amis avec leurs besoins particuliers, c’est une relation d’amour où chacun apporte sa contribution. Et puis, je suis bonne écolière, j’ai pris des notes l’automne précédent afin de ne rien oublier de ce que j’ai remarqué durant la belle saison. Chaque année, je renoue avec l’immense bonheur de jouer dans la terre, sous une légère pluie ou au grand soleil, je cherche le meilleur emplacement, leur donne les meilleurs soins, ce qu’elles me rendent au centuple en beauté et en vertus. À l’aube de mes 60 ans, l’une de mes grande joie, c’est d’avoir traversé un autre hiver et d’amorcer un nouveau printemps avec toutes les promesses qu’il contient. Chaque fois, je suis saisie d’une infinie gratitude.

Après le temps du lilas, viennent les magnifiques et généreuses pivoines et les  lys jaunes, qui ensemble, donnent de sublimes bouquets. Lorsque je cueille certaines fleurs, des personnes aimées reviennent me visiter, pour le muguet et les pivoines, c’est ma grand-mère, parce qu’elle les aimait. Il y a un peu d’elle dans mes bouquets. Les fleurs sont des contenants, des jolis pots où l’on dépose nos souvenirs précieux et nos soifs de beauté. Parfois, au contact des fleurs et de leurs beautés, j’habite cette espace tranquille que l’on appelle prière ou méditation.

À ce propos, vous ai-je parlé de la rose, des lupins et des pavots en fleurs au petit matin, c’est un des délices de juin ? D’ailleurs, mai et juin sont des mois de projets et d’expectative pour les jardiniers. Enfin, nous allons mettre au jardin nos petits plans longuement chéris, dans lesquels nous avons mis nos attentes et nos appétits. En plantant le basilic en terre, je rêve déjà du pesto que je ferai en juillet avec l’ail tout frais récolté. J’entame en mai mes infusions avec les plantes fraîches du jardin, qui tour à tour, viennent me calmer, me protéger et me tonifier. L’ortie toute fraîche me donne de l’énergie en soupe ou en infusion, la livèche nettoie mes reins, l’origan, l’agastache, l’alchémille, le raifort, la mélisse, la cataire, la consoude, qui se sont régénérés sous la terre, sont tous revenus et pressés d’offrir leurs vertus. Tant de bonheur dans un si petit potager.

Arrive juillet, le mois des grandes chaleurs et de l’abondance par excellence. C’est une féerie de La monardecouleurs et d’odeurs. La grande monarde échevelée, les hémérocalles si prodigues qui se donnent sans compter, les clématites, cosmos, églantiers, géranium, lavande, le millepertuis et la marguerite, tout est en fleur. On se bourre la fraise et les framboises. Toutes nos attentes, notre travail, notre confiance, nos habiletés de jardinier sont récompensés. C’est un mois exigeant, aucun jardinier ne peut partir au loin sans se soucier de son jardin en juillet. Les fleurs sont dans nos assiettes, en bouquet, à sécher, dans nos infusions. Pour moi, le mois de juillet est comme un rêve éveillé, j’ai toujours une image du paradis le matin au jardin lorsque je cueille les fleurs de la grande guimauve, de la scutellaire, de la camomille ou de la mélisse. Je choisis mes infusions avec grand soin en fonction de mes besoins et bobos du moment. Les fleurs de lavande sont à macérer dans l’huile d’olive au soleil avec celle du millepertuis, colorant l’huile d’un beau rouge rubis, elles soignent déjà nos entorses et muscles endoloris.

Beaucoup de plantes sont à sécher et me voilà à préparer mon onguent mentalement puisque je ne la ferai pas avant novembre lorsque les racines de la consoude seront bien prêtes et pleines de propriétés. Le travail ne manque jamais l’été, nous cueillons, séchons,  récoltons, cuisinons, désherbons et j’écris « nous » parce que nous ne sommes pas trop de deux pour accueillir tant de richesses.

Tout passe!
Nous voilà déjà à la fin de juillet, j’ai toujours un léger pincement au cœur lorsque le mois d’août
commence, il me semble qu’il arrive si vite, présageant que le plus fort de l’été est derrière nous. Plusieurs fleurs sont déjà à flétrir sous le soleil ardent, les plates-bandes perdent peu à peu de leur couleur et avec le mois d’août, les fleurs d’automne amorcent leurs floraisons. Les liatris, hydrangés, échinacées, verges d’or, eupatoires, asters, berces, capucines, coréopsis, tanaisies font de magnifiques bouquets dans les jardins et les champs, comme un chant du cygne ou le point d’orgue d’un grand oratorio. La fin du spectacle s’en vient, nous espérons un ou plusieurs rappels, ce que septembre et octobre nous offriront à coup de journée de soleil à cueillir pommes, courges, oignons, carottes et rutabagas

Ainsi, au fil des jours, il me semble trouvé une part de divin ou ce qui s’en approche le plus, dans des espaces inattendus. J’y touche du bout des doigts ou du nez dans l’exquis parfum des rosiers sauvages; dans le bonheur inégalable d’un sandwich à la tomate encore chaude et bien mûre sur un lit de basilic; ou la douceur incomparable de la guimauve que je cueille sous le soleil ardent; dans la beauté de la simple, mais néanmoins remarquable échinacée; dans l’éphémère moment de joie à la vue d’un oiseau mouche le matin dans le petit jaune d’une fleur de molène ou encore dans ce moment de sieste sous le chant stupéfiant du cardinal qui fait la cour à sa dame ou dans le goût du concombre fraîchement cueilli et mangé dans sa plus simple expression pour ne pas dire perfection. « La sainteté n’est rien de ce qu’on imagine. J’ai rencontré aujourd’hui une troupe de primevères bavardant à l’air libre et faisant de leurs bavardages une prière qui montait droit au ciel. » Christian Bobin

Voilà, le temps des fleurs qui fait office d’horloge. L’été file, le temps suivra son cours, les érables deviendront rouges, je récolterai les baies de sureau, couperai les plantes fanées et j’espérerai à nouveau, une autre allée bordée de fleurs, un autre plan de jardin, bien meilleur que celui de l’an dernier, puisqu’enrichie de mes souvenirs et expériences de beauté.

Faites ce qui vous comble, m’avait dit un ami un jour lorsque j’étais jeune. Me voilà comblée, espérant de nombreux printemps, porteur d’enchantement et d’abondance! L’amour c’est de laisser naître le désir et immanquablement le combler, disait Anne Bernard que je ne connais pas, mais  avec laquelle me voilà d’accord.

Manon Rousseau 30 juillet 2020

 

 

 

 

3 réflexions sur « Le temps des fleurs »

    1. Manon Rousseau Auteur de l’article

      T’es fine, de plus, ça me montre que vous pouvez me laisser des messages. Merci!

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