Le serviteur souffrant

« C’est tout un travail de devenir libre ! C’est là tout notre travail de transfiguration. » Thierry Verhelst

Le serviteur souffrant, quel titre! Lorsque j’ai entendu le nom de cette communauté, la communauté du serviteur souffrant (1), cela m’a intriguée, rebutée, voire irritée. Quelle hérésie que de glorifier la souffrance me suis-je dit en tout premier lieu. Certains versets de la Bible ou citations me faisaient le même effet, le livre d’Isaïe par exemple où il est dit « qu’à cause de ses souffrances, il verra la lumière et il sera comblé ». Pourtant, j’ai moi-même assez expérimenté la douleur, pour savoir que telle une huître sans cesse irritée par un grain de sable, la souffrance, la maladie et la douleur peuvent aussi créer des perles. Perles de sagesse, d’illumination, de conscience.

Or, depuis que j’ai entendu ce terme, « serviteur souffrant », il me trotte dans la tête comme une ritournelle. Ça turlute, je pressens qu’il a quelque chose à livrer, mais sans trop comprendre de quoi il en retourne complètement. Ainsi, comme bien souvent, j’attends qu’au détour de la vie, un indice vienne libérer le secret et ouvrir la serrure qui donne accès à un autre morceau de robot.

« C’est par la fissure que la lumière passe ». Léonard Cohen

Marcheurs

Ce qui est fascinant, c’est que j’ai la certitude intrinsèque, parce que maintes fois expérimentée et confirmée, de la dualité en toutes choses, obscurité et lumière à jamais liés. Pourtant à l’instar de vous, je me laisse encore si souvent prendre par l’idéalisation de l’autre. Ainsi, cette femme gaie et si joyeuse en tout temps, dont j’idéalise la joie. À chacune de nos rencontres, j’en viens à me demander son secret de joie éternelle, jusqu’à ce que j’ai accès à une part d’elle qui me laisse entrevoir la tristesse contenue, les larmes non versées. De même, chaque fois que je vois une personne glorifier la performance, se donner à 110 %, en donner plus que le client en demande, je vois derrière ce besoin, tout le désir d’être vu, reconnu et j’ai de la compassion, beaucoup de compassion devant tous ces personnages que nous jouons, la plupart du temps sans le savoir. Ces personnages nés à la fois de notre nature profonde, de nos blessures et du besoin d’être aimé. Lumière et fissure, force et fêlure réunies, porteuses de ce que nous sommes, intimement liées. Nous glorifions le lumineux et tentons d’occulter nos fêlures, nous coupant de ce fait de notre histoire, de notre complétude, de ce que nous sommes au plus profond.

C’est en partie le cadeau du « serviteur souffrant », parfaire un apprentissage, saisir encore mieux d’où provient l’aidante, la guérisseuse, l’intervenante que je suis. Comment est-elle née, de quoi s’est-elle nourrie ? Je me rappelle de l’un de mes prof à l’université, qui nous avait demandé pourquoi nous avions choisis le travail social? Presque la totalité des jeunes étudiants que nous étions, avaient répondus « pour aider ». Mais encore, avait rétorqué le professeur, quelle est votre motivation, pourquoi vouloir aider? Aider qui et pourquoi? Ce fût ma première révélation sur la motivation profonde qui anime les aidants et le début de ma quête pour comprendre le sens de mon engagement. Depuis j’ai développé la certitude que cette question du pourquoi vouloir aider est à chérir et que la réponse se déploie dans le temps. Je pense aussi que tant que nous ne le savons pas, nous ne pouvons accueillir l’autre complètement puisque nous projetons des parties de nous-mêmes restées dans l’ombre. Paule Lebrun disait à cet effet, qu’un leader qui n’a pas reconnu son pouvoir, et j’ajouterais sa motivation d’aider, d’être au-devant de la scène, peut être dangereux.

Ainsi, je porte depuis toujours dans ma nature profonde, ce désir et ce besoin de solidarité, serviteur souffrantd’humanité, de bonté, de bienveillance et de relation authentique et juste. Une relation où chacun peut se déployer dans l’accueil et le respect et ainsi offrir le meilleur de ce qu’il est. Cela dit, je sais aussi que du plus loin que je me souvienne, j’ai cru que mon rôle ici bas était de secourir et d’aider et je me suis construite autour de cela. Faute de prendre conscience de cette motivation, ce rôle, ce personnage de « secouriste » m’a amené parfois au bout de mes forces. De même, l’accueil, le respect, l’authenticité, la bonté et la bienveillance découverts dans le service aux autres, m’ont, au bout du compte, réparés. En offrant aux autres et en développant ces qualités d’être, je me suis offert ce dont j’avais le plus besoin.

« Prendre conscience de nos propres blessures, de nos propres manques et essayer de se réparer soi-même, est souvent un préalable indispensable avant d’espérer obtenir des résultats »(2) comme intervenants, parents, guérisseurs, leaders, etc.

Aujourd’hui, je sais mieux que « ma force et ma fêlure » logent à la même enseigne. L’une serviteur souffrantprend sa source dans l’amour véritable et m’apporte joie et contentement, tandis que l’autre vient d’une partie souffrante qui ramène avec elle son lot d’inconfort et de déséquilibre. C’est d’ailleurs à cela que je peux les reconnaître, dans les sensations qu’elles transportent dans toutes les sphères de ma vie. Comme fille, sœur, mère, grand-mère, amie, amoureuse, directrice, j’ai sans cesse à trouver la justesse entre donner et recevoir pour ne pas devenir un « serviteur souffrant ». Ai-je dépassé mes limites, ai-je été complaisante, me suis-je trahie, par peur de ne pas être aimé, par manque de confiance en l’autre, en ses capacités et autres motivations venant de mes manques?

Ainsi, mon désir de servir me demande de l’attention et de la présence. C’est un chemin que je marche, parfois en conscience et parfois dans l’inconscience, jusqu’à ce qu’un mot, une situation, une personne m’offrent l’opportunité de saisir avec plus d’acuité ce qui me constitue. Je suis plus vaste que mon histoire et mes blessures, mais elle font aussi partie de ce que je suis et de ce qui est à regarder, guérir et transformer. « L’angoisse apparaît quand on perd le sens de l’appartenance au Tout, » d’où l’importance de « se relier à soi, aux autres, à la nature, au monde, au sens, au sacré, à plus grand que soi. » Thierry Verhelts

Me vient cette phrase de Christiane Singer : « de l’autre côté du pire t’attend l’amour »…

Manon Rousseau / Octobre 2015

(1) La communauté du serviteur souffrant a été fondée par Frédy Kunz. « Ce prêtre franco-suisse qui a vécu au Québec et dans le Nordeste du Brésil de façon très gandhienne avec son bâton, sa natte pour dormir et un sac plastique contenant sa Bible et ses chaussures. Pour lui, le peuple des exclus, le peuple qui souffre, a une mission. Notre monde, sophistiqué, capitaliste, matérialiste, vit parallèlement à deux milliards d’êtres humains pauvres, voire sous le seuil de la pauvreté. La grande révolution spirituelle de demain viendra de la grande masse de ces pauvres. À l’origine de ce mouvement, il y a notamment eu la confrontation de Frédy Kunz à Recife avec une ancienne victime de la prostitution. Cette femme, âgée et alcoolique, sentait mauvais, perdait ses cheveux et se mourait. Elle était rejetée de tous, on lui donnait des coups de pied. Frédy s’est assis à côté d’elle et lui a dit : « Tu portes les péchés du monde avec le Christ ». Elle a reçu une véritable décharge, a été transfigurée et est devenue le phare de la favela. Le Christ l’avait visité ! Elle est morte un an plus tard, toute la favela était à son enterrement ». http://memoire-thierry-verhelst.over-blog.com/le-serviteur-souffrant

(2) http://www.les-supers-parents.com/les-16-besoins-fondamentaux-de-tous-les-enfants/

 

5 réflexions sur « Le serviteur souffrant »

  1. marguerite guernon

    Quel beau texte, quelle plume vous avez!!!
    Un écrit qui nous rejoint tous d’une certaine façon.
    Il y a de la matière à méditer.
    Les illustrations sont magnifiques.

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    1. Manon Rousseau Auteur de l’article

      Merci! Cela me touche d’autant que nous ne nous connaissons pas, écrire c’est tissé des liens dans l’invisible…

  2. Nadeau Nancy

    Chère petite soeur de coeur ! J’ai été touchée de te lire. J’ai toujours trouvée que tu avais le verbe facile et le mot juste. Ta façon d’articulées les évènements qui t’entourent avec facilité est un véritable don de Dieu. A chacun nos talents. J’ai oeuvrée auprès de toi pendant plusieurs années, et cela a fait partie de mon chemin de vie, de mon apprentissage. C’est l’Esprit Saint qui nous a rassemblées. Nous avons pris des chemins qui diffèrent et il devait en être ainsi. Je reste dans l’invisible ta petite soeur de coeur, avec la certitude que nous sommes à l’aurore de la plus belle des histoires du monde. La souffrance des ouis qui ont été donnés au Seigneur depuis plus de 2000 ans ne sera pas vaine. La souffrance devient la co rédemption, mystère qui dépasse notre entendement. Je donne tout mes ouis au Seigneur a accomplir Sa Volonté dans ma petitesse, sachant que je ne suis pas parfaite, et qu’il me pardonne chaque fois que je tombe. Il est le seul a pouvoir combler mes manques d’amour. J’ai soif de son Amour et il me comble de ces bienfaits. Je lui offre mes souffrances afin qu’il les transforme à sa guise. Comme c’est un bonheur de se savoir aimer à ce point. Il aurait donné ma vie juste pour moi. Il est mort pour mes péchés. La prière, l’oraison, l’Adoration, la comtemplation, reste pour moi des moyens que je n’ai pas toujours bien sue honorer. Mais j’y reviens toujours, car il n’y a que là que je sois comblée. Si tant de prières sont dites pour la venue de la paix véritable, c’est qu’un jour elle va éclater au grand jour. Car finalement, nous attendons vraiment sa Venue sa Sa Gloire.
    Je fais confiance pleinement en Dieu qu’il prendra bien soin de toi et des tiens.
    De tout coeur
    Nancy

    Répondre
  3. Nancy Nadeau

    Texte corrigé : j’avais oubliées le plus important, l’Eucharistie et le Sacrement du pardon.

    Chère petite sœur de cœur ! J’ai été touchée de te lire. J’ai toujours trouvée que tu avais le verbe facile et le mot juste. Ta façon d’articulées les évènements qui t’entourent avec facilité est un véritable don de Dieu. A chacun nos talents. J’ai œuvrée auprès de toi pendant plusieurs années, et cela a fait partie de mon chemin de vie, de mon apprentissage. C’est l’Esprit Saint qui nous a rassemblées. Nous avons pris des chemins qui diffèrent et il devait en être ainsi. Je reste dans l’invisible ta petite sœur de cœur, avec la certitude que nous sommes à l’aurore de la plus belle des histoires du monde. La souffrance des ouis qui ont été donnés au Seigneur depuis plus de 2000 ans ne sera pas vaine. La souffrance devient la co rédemption, mystère qui dépasse notre entendement. Je donne tout mes ouis au Seigneur à accomplir Sa Volonté dans ma petitesse, sachant que je ne suis pas parfaite, et qu’il me pardonne chaque fois que je tombe. Il est le seul à pouvoir combler mes manques d’amour. J’ai soif de son Amour et il me comble de ces bienfaits. Je lui offre mes souffrances afin qu’il les transforme à sa guise. Comme c’est un bonheur de se savoir aimer à ce point. Il aurait donné ma vie juste pour moi. Il est mort pour mes péchés. La prière, l’oraison, l’Adoration, la contemplation, l’Eucharistie et le Sacrement du pardon, reste pour moi des moyens que je n’ai pas toujours bien sue honorer. Mais j’y reviens toujours, car il n’y a que là que je sois comblée. Si tant de prières sont dites pour la venue de la paix véritable, c’est qu’un jour elle va éclater au grand jour. Car finalement, nous attendons vraiment sa Venue dans Sa Gloire.
    Je fais confiance pleinement en Dieu qu’il prendra bien soin de toi et des tiens.
    De tout cœur
    Nancy

    Répondre
    1. Manon Rousseau Auteur de l’article

      J’ai soif de son Amour et il me comble de ces bienfaits. Je lui offre mes souffrances afin qu’il les transforme à sa guise. Comme c’est un bonheur de se savoir aimer à ce point. Quel foi, quelle ferveur il y mis en toi….

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