C’était journée de pleine lune, celle qui régit les marées, amène les grandes vagues, fait grossir
les flots, les nôtres compris. J’ai donc pleuré sans pouvoir m’arrêter quelque chose comme une vieille peine qui se mêlait à la douleur qui me taraude le bas du dos. Nous lui en devons plus d’une à Dame Lune, grâce à elle et ses cycles, les larmes non versées peuvent monter, déborder et enfin rouler vers le rivage / visage.
Comme plusieurs d’entre-vous le savez, j’ai mal au dos depuis plus de 25 ans, presque sans répit. Surtout, amis lecteurs, évitons les conseils, car depuis tout ce temps et pour mon plus grand bien, j’ai herborisé, ostéopatisé, acupuncturé, chiropracturé, alcalinisé, nettoyé tant dehors que dedans, marché beaucoup passionnément, médité assis (pas trop longtemps), couché ou en me « shakant » , dansé nue et hurlé sous la lune, tourné 3 fois sur moi-même en implorant des dieux et des déesses, manger cru, végé, sans gluten, sans produits laitiers et j’en passe. Tout cela m’a aidé, supporté, à ramener de la santé et de la vitalité dans ma vie, enseigné la gratitude, éveillé la foi et apporté maints autres cadeaux insoupçonnés, mais sans enlever la douleur ni les vieux bobos dans le bas de mon dos.
Ainsi, depuis quelques années, je fais des deuils, celui de ma bicyclette rouge sur laquelle je m’envolais à travers mon village, tel E.T. l’extraterrestre, du ski de fond sur la rivière, de nager comme le dauphin que je suis, de vivre sans douleur, sans entorses lombaires et de bien d’autres choses dont je vous épargne les détails plus intimes. Comble de malheur, j’écris beaucoup moins, car cela aussi attise la douleur. D’ailleurs, en ce moment, c’est en partie grâce à ma secrétaire particulière, ma petite fille Océanne, si mes mots qui passent par ses doigts, se rendent jusqu’à vous. Me reste l’opération sans aucune forme de garantie et pourtant j’y songe sérieusement.
Bref, j’ai donc pleuré, sans pouvoir m’arrêter et ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai été dans la piscine, mis ma tête sous l’eau, ça pleurait de plus belle (ma petite fille secrétaire particulière
s’est d’ailleurs bien moquée de moi à propos de cela), je me suis couchée, les larmes m’ont
réveillées, me suis mise à écouter les olympiques et le plongeon raté d’un Canadien a déclenché de nouveau le torrent. J’ai téléphoné à ma sœur, lorsqu’elle m’a demandé comment j’allais, je me suis remise à pleurer de plus belle. Évidemment j’ai fini par comprendre qu’il serait impossible d’endiguer les flots, j’ai donc de guerre lasse, laissé le barrage céder. J’ai pleuré le découragement, l’impuissance, la peine, la perte, la douleur de la énième entorse qui m’handicape depuis plus d’un mois, la peur pour la suite, etcétéra, cétéra, cétéra.
Il y avait la pleine lune, il y avait eu mes petites filles et leurs sollicitudes lorsque je leur ai raconté l’été de mes six ans, celle où je me suis cassé le coccyx contre le coin de mon bureau, après une magnifique pirouette. À travers leur regard et leur peine, j’ai revu la courageuse petite fille que j’étais, qui entendait par les fenêtres grandes ouvertes, ses amies qui jouaient dehors et qui voyait impuissante l’été et ses mille plaisirs s’envolés. Tout cela associée à une douleur dépassait la compréhension d’une petite fille de 6 ans. Pour clore le tout, question de s’assurer que les larmes cumulées soient versées, la douceur de ma nièce acupunctrice, avec quelques aiguilles bien placées, ont déclenchées le déluge. Pendant près de 4 heures, j’ai pleuré tous mes nuages de pluie, même l’oiseau mouche qui s’est pointé dans mes fleurs, symbole de joie par excellence, n’y pouvait rien changé.
Évidemment, comme toute chose a une fin, la source s’est tarie, mon petit frère et son amoureuse sont passés, ont accueillis le moment, nous avons soupé avec mon neveu bien aimé, et sitôt partis, je me suis couchée. Je me suis endormie comme un bébé. Vous savez comme on dort bien après avoir beaucoup pleuré.
Le lendemain matin, rien n’avait changé dans mon histoire, j’étais et je suis encore devant les
mêmes décisions à prendre, le même dos et encore des questions sans réponses, mais je me sens plus libre, plus vaste, il a de l’espace, ça respire mieux en dedans. Les larmes, l’eau ont tout nettoyées en profondeur. Parfois une seule larme suffit pour mieux voir…
Avec le temps, j’ai appris plein de trucs qui me rendent la vie plus douce et plus facile, et comme jardinière je cueille le bonheur partout où il se trouve et il est dans mille petites choses de ma vie. De plus, je suis une résilience qui retombe vite sur ses pattes, je ne tombe pas facilement… Cependant, je ne suis plus aussi certaine que ce soit toujours une qualité, parce qu’à chaque fois que je rends les armes ou les larmes devrais-je dire, quelque chose de très beau et de très doux se produit, quelque chose d’indicible… Victor Hugo a dit : « Dieu tombe goutte à goutte du ciel et larme à larme de nos yeux ». Je lui laisse le mot de la fin.
Manon Rousseau / août 2016