Enfin dans l’avion! J’ai répondu à l’invitation, je vole vers ce rendez-vous que je me suis donné voilà plus de 12 ans, vers cet appel profond et mystérieux de quête de vision en Arizona. Cette quête est un oui suspendu dans le temps. Depuis avoir redit oui à cette aventure, quelque chose n’a eu de cesse de m’attirer au centre comme un aimant et aucune de mes résistances n’a pu freiner cette attraction.
Dernière semaine avant le départ. Que d’inattendus, toucher de nouveau un profond sentiment d’abandon, vieux, très vieux, connu. Ne plus chercher à comprendre, laisser aller, laisser être. Mario a annulé, il ne vient pas. J’ai pleuré quelque chose de très ancien, je me suis tenue, tant bien que mal en équilibre dans ma tête, mais ça ne tenait pas bien longtemps. Quelque chose m’attire au centre, en dedans, vers un mouvement de descente, et en descendant, ça pleure. Ce voyage est une quête pour tisser un fil invisible et solide entre une petite fille qui s’est sentie très seule, une femme d’âge mûre et des déesses.
Il y a quelque chose du féminin que j’ai rejeté, en m’identifiant au père. Père ciel, Père de mes aïeux, Père Noël. J’ai si peu de référence au féminin sacré. Qu’ai-je donc comme modèle à part la vierge Marie désincarnée, à qui l’on a volé son droit d’être femme et déesse à la fois. Qu’ai-je à léguer à mes filles du féminin sacré ? Vers quelles déesses, quelles déités me retourner lorsque je descends dans mes profondeurs de femme. C’est un appel, un désir de rentrer à la maison. Mais où est la maison mère ?
J’en appelle à la déesse, femme sage, sacrée, sauvage, puissante, douce, pacifiante. Viens chuchoter à mon oreille. Je descends vers les entrailles de la terre mère pour naître d’elle à nouveau. L’initiation ou la descente vers la déesse. Il y a cet extrait magnifique du livre « Le parcours de l’héroïne ou la féminité retrouvée » qui me touche tant, qui m’interpelle du plus profond et qui dit : « L’expérience spirituelle de la femme consiste non pas à sortir d’elle-même, mais à s’y enfoncer plus profondément. La descente s’effectue malgré nous, nous essayons toutes d’y échapper, mais à un moment de nos vies, nous nous mettons en route vers les profondeurs. Ce n’est pas un voyage séduisant, mais il fortifie la femme et clarifie le sens qu’elle a de son moi. Elle peut rester là, longtemps dans l’obscurité à attendre pendant que là-haut la vie continue. »
Voilà comment je me sens, volant vers cette quête de moi-même, souhaitant retrouver la maison-mère. Je me prépare à la rencontrer, mais je ne connais pas le chemin menant à la déesse. En me détournant de ma féminité, en étant la fille du père, la conquérante, la guerrière, en rejetant la mère, c’est une partie de moi que j’ai rejetée. Je m’en vais, telle une archéologue, chercher des fragments éparpillés de mon être. Je ne sais pas comment et, peu m’importe, tout ce que je sais, c’est que pendant que l’avion s’envole, moi je descends et j’y consens.
Sables émouvants
Arrivée au Arch national Park, installation du campement dans ce désert rouge. La terre de feu, le désert rouge est magnifique. Il m’émeut.
Je saisis de l’intérieur la métaphore de Paule sur le désert de l’ouest américain qu’elle décrit comme un vieil homme à la barbe rugueuse. C’est dans ce décor torride, de vieux film western, que l’on se prépare à une Ouverture cérémonielle, façon HO ! Saut collectif à l’intérieur d’une corde pour symboliser le saut dans l’expérience, on entre dans le processus. Un oui collectif, communautaire. C’est fort et puissant, ça s’inscrit dans l’inconscient. « L’inconscient comprend deux choses, une intention accompagnée d’un geste », disait Paule en début de formation. Je vois de plus en plus cet enseignement à l’oeuvre.
Rentrer à la maison!
Marche silencieuse jusqu’à Delicate Arch. La porte du Nouveau Monde. Il est une porte en moi et hors de moi, la franchirai-je ? Je me tiens au seuil depuis un moment. « Saute pendant que tu es vivante », dit le poète soufi. Je franchis cette porte sans crainte et respectueusement. En la franchissant, je m’affranchis. La porte de la terre mère. Antoinette et Laurette, mes grand-mères à qui je pense à cet instant, franchissent cette porte avec moi. Au passage, je dépose mes bagages trop lourds et j’entre librement. Salutation aux grands-mères, marches mémorables.
Premier concile. Le contenant rituel est suffisamment solide pour que je me donne à l’expérience totalement. Je ne suis plus l’intervenante, la femme en contrôle. J’accepte tout, je ne bats contre rien, j’accueille. Après-midi accompagnée de peur, elle est revenue la salope (tiens donc, je suis vraiment dans un western), je ne veux plus faire la quête, je ne veux pas affronter cette peur sournoise d’être seule à nouveau. Je n’ai plus confiance en ma force, je n’ai plus de force, journée de doute, pourquoi suis-je ici ? Je veux retourner à la maison, mais où est la maison, où se trouve la maison ?
Paradoxe, vieille peur d’être seule et immense besoin de solitude. Je rentre dans ma tente très tôt, avant les huit heures. Bonheur, c’est comme si je rentrais chez moi, personne ne me manque. Je suis si bien seule, je suis heureuse et m’endort comme un bébé.
Un orage, une pluie torrentielle me réveillent et je me laisse bercer au son de l’eau, des éclairs et du tonnerre qui gronde. Réveil à l’aube direction et départ pour Fire furnace, la fournaise du feu. Dieu ! que c’est beau, le miroir de ce que nous sommes : Tunnel, passage, éclaircie, porte à traverser, rondeur et beauté, wow !!!!
Parler à Paule. J’aime Paule, j’aime son énergie de femme sage et déposée. Je ne voulais plus aller à la quête, trop fatiguée, fatiguée de lutter, besoin de repos et de douceur, besoin de la quête douce. « Va te reposer, me dit-elle, pas besoin que ta quête ne soit dure, le jeûne appelle le repos ». Paule me rappelle à quel point nous avons été guerrières, fortes et combattantes. Pendant qu’elle le dit, quelque chose prend sa place en moi et pousse tout le reste. Aller dormir les yeux entrouverts dans la douceur du féminin sacré. Pas de déesse noire qui mange ses enfants, mais celle qui repose, apporte et porte en elle accueil, tendresse et compassion. Je prends conscience que je ne veux ni l’ombre, si ce n’est pour me cacher du soleil, ni parcours de combattante. Je veux, j’appelle la déesse de la douceur, de la compassion et de la sollicitude. Qu’elle m’accompagne, qu’elle m’indique le chemin. La guerrière a assez donné. J’ai assez guerroyé, nourri l’indignation et le combat, combattu dragons et monstres de toutes sortes. Un autre temps est venu. Sainte Marie, Terre mère, grand-mères, tout ce qui est doux, tendre et féminin, rappelez-moi, enseignez-moi, apprenez-moi à me reposer en moi, à m’y déposer, m’y glisser, m’y couler. Ainsi soit-elle !
Un ami m’a dit : « Ta quête sera à la mesure de ton sacrifice ». Je sacrifie donc que ce soit difficile, que j’arrive en combattante, prête au combat et à affronter tous les dangers. Je ne vais pas me battre, je vais me déposer. J’ai passé ma vie à me dépasser, est venu le temps de me déposer. Changer le A pour un O. HO !
« Dans le monde de l’esprit, c’est en faisant faillite que l’on fait fortune» Christian Bobin
Pleurer sur les genoux d’Amala, pleurer pour une vision. On ne s’évite pas soi-même dans le désert de son cœur. On arrive face à face avec sa blessure. La mienne : l’invisibilité. Faire la preuve pour exister, toujours me dépasser, ne pas entendre la fragilité, la pousser ou aller dedans toute seule comme une grande. Amala caresse mes cheveux et sa main et sa douceur viennent réchauffer et ouvrir mon cœur. Je me suis inventée tellement de Dieu, tellement de déesses pour ne pas être seule avec mes détresses. Or, les dieux et les déesses sont de chair et d’os. Une seule caresse, un peu de tendresse et le cœur s’apaise.
Tout est en place
Ma montre neuve a cessé de fonctionner hier, je suis déjà à l’heure de la quête, je me lève quand l’aube se lève, je me couche quand le soleil se couche. Moi qui ai eu si peur du temps qui passe, de l’ennui, le temps s’est cassé, il n’existe plus, je suis dedans.
Hier soir, chants et rituels pour ceux qui partent en quête. Tout se passe dans l’inconscient et l’inconscient est vaste. Je me sens enceinte de plus grand que moi, de moi. Je prends depuis hier une petite pilule pour dormir. C’est Amala, mon infirmière personnelle qui me l’a prescrite. Douceur, on ne se bat pas. Là commence l’enseignement de la douceur, pour soi-même, il faut dormir, sombrer dans le monde du rêve, récupérer. Parfois une femme en pré ménopause et de surcroît enceinte d’elle-même, ne dort pas très bien, alors on s’accorde une petite douceur. Que s’endorme la combattante, que pendant la nuit, une autre s’éveille. Une autre qui est et cherche à émerger d’un long songe.
Pourquoi écrire tout cela ? Pour le legs, l’héritage, on fait une quête de vision pour soi, pour aller à sa rencontre, pour laisser mourir ce qui doit mourir, laisser aller la vieille peau, mais aussi pour notre communauté. Pour tous ceux que l’on aime et qui nous suivent. Quelqu’un doit ouvrir le chemin. J’ai déposé la peur dans le ventre de la terre-mère pour qu’elle la dissolve. Je ne veux pas la laisser en héritage aux miens. Ouvrir le chemin de la descente, dans nos fragilités et dans nos forces, dans nos failles et nos passages étroits.
Silence de groupe
Je n’ai pas faim. Je suis pleine. Pleine de vide, de silence, de moi, de doutes, de larmes, de pensées, de beautés, de grâce. Hier quand nous marchions dans les canyons, ensemble, en silence, j’ai vraiment goûté comment il est bon d’être en silence, en groupe. Une communauté de silence est porteuse de grâce.
C’est très doux et guérissant pour une fille, qui comme moi, vient d’une grande famille ou tout le monde parlait fort pour s’entendre et faire sa place. J’ai grand besoin de silence, le bruit et les cris me fatiguent. Le silence communautaire, le silence habité, est une grande source de joie et de paix. Se faire tendre la main par quelqu’un ou la tendre à son tour, aucune parole, pour ne pas briser la beauté du geste. Je donne, je reçois, rien à dire, tout à ressentir. Les mots sont souvent de trop.
Comme tout est bien orchestré par ce couple d’amoureux de rituels et de nature pour inciter, initier la descente et comme ils sont beaux ensemble. Cet après-midi, je les ai vu de loin se parler, ils m’ont fait penser à Mario et moi dans la danse de leurs gestes, dans la tendresse qui les lie.
Histoires de héros, d’héroïnes
On s’approche de notre lieu de quête, déplacement en bus entre l’Utah et l’Arizona. Bon temps pour raconter l’histoire de Manon l’héroïne et pour entendre celle d’Antoine et Marcel les héros. Un constat, les trames de fonds changent, mais l’histoire est universelle. Ce sont les mêmes ingrédients de départ pour tous les héros et héroïnes de ce monde ; sentiment d’être seuls, incompris, isolés ou rejetés. Et les mêmes besoins; besoins d’être vus, reconnus, aimés, de se dépasser, de donner du sens. Et toutes sortes de fuites pour se détourner du chemin ou éviter ce qui est inévitable. Des fuites qui prennent des noms et des formes diverses, mais qui toutes apportent et nourrissent l’ivresse : Sexe, amour, alcool, drogues, religions. Le cadeau de ces histoires de héros et d’héroïne : Voir par trois fois combien chacune de nos blessures est porteuse de nos beautés. Dans chacune de nos failles se trouve l’énergie qui nous anime et nous pousse à devenir ce que nous sommes profondément.
Descente et enchantement
Descente à pied dans le canyon par un petit sentier rocheux et escarpé. Présence dans la descente. Arrivée dans le fond du canyon, cadeau. Un lieu verdoyant où fleurs, cactus, oliviers, et arbres énormes me rappellent l’Éden. Impression d’être arrivée à la maison. Le vert de ce désert m’enchante littéralement le cœur. Au pied de Spider rock nous posons nos tentes. Allégresse !
Puis recherche de notre lieu de pouvoir. Je sais ce que je cherche. Un endroit près de la rivière, sous les oliviers. Nous partons en équipe de deux. Évidemment, et sans que nous nous soyons concertées préalablement, je me retrouve avec ma partenaire de toujours, Francyne, ma soeur. Nous partons en longeant la rivière et je trouve un lieu magnifique. Sable, rivière, oliviers et petit pré avec fleurs et pissenlit. Je suis ravie, c’est ravissant, mon cœur est plein d’allégresse. Je n’ai qu’une seule envie, que l’aube arrive pour y retourner.
Enseignement d’une femme médecine
« Le paradis est entre tes deux bras », nous dit Ronnie, cette conteuse de grand-mère en petite fille. « Transmettre aux autres générations, est une responsabilité ». La mère et la grand-mère que je suis, ressentent très fortement ces paroles de femme, je sais que j’ai cette responsabilité et je l’assume. « Le feu est en toi, le feu c’est ton cœur, il est au centre, ta responsabilité en cette vie, c’est d’entretenir le feu, de ne pas le laisser s’éteindre ». J’aime cette responsabilité de nourrir le feu qui nous habite.
Arrivée à la maison
Je suis enfin sur mon lieu de pouvoir, mon site est installé, je me repose, couchée, je regarde le canyon. J’ai l’impression dans le silence que je suis enfin arrivée à la maison. Les bœufs beuglent, le corbeau croasse et là enfin seule je me sens accompagner plus que jamais. Il est bon d’avoir une communauté, de se sentir reliée dans l’invisible. Je suis vraiment à guérir mes blessures d’invisibilité. Je suis émue de me rendre compte, dans le dénuement et la solitude à quel point je suis reliée. Guérison et gratitude!
La première journée s’achève, le soleil descend. Une journée de silence, la profondeur se trouve dans le silence, un havre de paix où je m’habite parfaitement. C’est l’éternité du moment, je ne souhaite plus rien, je suis simplement. Le temps passe lentement, en douceur. J’ai eu souvent peur de l’ennui dans ma vie, pensant que le pire qui pouvait se produire, ce n’était rien… Pourtant le temps qui passe lentement, sans rien pour divertir, est bon et sucré.
Histoire d’oiseaux…
Fin de journée, coucher du soleil. Je suis assise à regarder le soleil descendre et j’entends le croassement de deux grands corbeaux. Un troisième oiseau apparaît, un faucon planant au-dessus des canyons. De derrière arrivent nos 2 maîtres corbeaux, poursuivant le faucon, l’agaçant, le taquinant. Le faucon tente de poursuivre son vol au-dessus du vide et de semer ces intrus qui viennent déranger sa quiétude. Me viens alors que Mario, dans l’astrologie amérindienne est un grand corbeau alors que je suis faucon. Ce grand faucon si sérieux et occupé à survoler ce vaste monde.
Je ris de nous voir et de me rappeler combien il peut être taquin et combien je peux être sérieuse. Je ris de me rendre compte que tout cela est dans sa nature et dans la mienne. Comme il est bon de rire toute seule devant cette histoire d’oiseaux et de nous qui se déploie sous mes yeux.
Dream time
Me faire confiance, j’ai tout ce qu’il faut pour initier de beaux et puissants rituels. Je m’offre totalement, je reçois de nombreux présents. Lors de la loge de la mort, je reçois un message d’une grande simplicité: « Ouvre ton cœur, aime au-delà des blessures, aime et garde ton cœur ouvert et chaud. » Le message est puissant, cellulaire.
La nuit est arrivée et je me suis couchée sous les étoiles. Confiante, certaine d’être aimée, protégée. J’ai regardé le ciel immense et étoilé, prête à m’envoler, à me glisser sereine dans cette nuit bénie. C’est à ce moment que quelque chose d’imposant s’est mis à grogner. Mon cœur cognait à tout rompre, j’ai claqué des mains, sorti le couteau et peu à peu les beuglements se sont éloignés et se sont faits de plus en plus lointains. Il y avait en moi un tel sentiment de douceur, de beauté, d’intimité, de guérison profonde et de paradis, j’étais dans un îlot de beauté, de repos, je me suis endormie béate et confiante. Oh bien sûr, je me suis réveillée tant les grillons faisaient battre leurs cœurs à l’unisson, j’ai entendu de petits cris ainsi que les coyotes au loin au petit matin, j’ai regardé les milliers d’étoiles, j’ai senti mon cœur battre, mais je me suis reposée.
Au lever du soleil, je me suis réveillée au son du galop des chevaux et un bel étalon noir s’est approché, il est venu me voir et est resté au seuil de mon lieu de pouvoir. Je l’ai salué, me suis recouchée et rendormie.
Départ
C’est Francyne, mon amie qui me réveille, elle pense rentrer au camp de base. Trop peur, trop mal, trop secouée par Ours. Envie de se donner le droit d’être petite, de ne pas se dépasser. Comme je la comprends. J’ai fait le même chemin depuis mon arrivée, me laissant aller dans ce besoin de sécurité et de douceur, me donnant totalement à celle qui a peur, à la guerrière fatiguée, à la combattante qui veut rendre les armes, me montrant nue, fragile et vulnérable, invoquant mon besoin puissant de douceur. Je console mon amie qui a tant de peine, je lui dis qu’elle peut partir sans remords, que je resterai seule. Je suis à l’Ouest, dans l’introspection, comme bien souvent dans ma vie et je suis bien. Peut-être suis-je un ours ? Besoin d’entrer dans ma caverne. Et j’aime le jeûne qui fait que nous avons si peu d’énergie pour bouger et faire. Je suis presque toujours sur mon matelas super confort. J’aime les papillons, les oliviers, la beauté et les rituels. Je reste même si Francyne part. Mon cœur est tranquille.
Rendre les armes
Le soir descend sur mon lieu de beauté. Avant d’aller au lit, je fais un dernier rituel que j’ai préparé tout au long du jour, dans le but d’unir le féminin (chaleur, intériorité, douceur, sensibilité, intuition, cœur, terre-mère) et le masculin (guerrier, sage, extériorité, matérialisation, tête, père ciel). Pour en finir avec cette impression d’être séparée. Après ce rituel, je me glisse sous l’abri que je me suis faite sous les oliviers. Surprise, après ces 2 jours de profond ravissement, une angoisse sourde et profonde me prend. Je sens Ours, il approche, mais je ne le vois pas. Je doute, je crois que ce sont mes peurs. Il y a pour moi dans ce moment de doute, un apprentissage majeur, un des cadeau d’Ours: « Honore ce que tu sens ».
La peur au ventre, je suis sortie de mon lieu de pouvoir pour aller vérifier avec celui qui connaît si bien cette nature sauvage, si Ours pouvait être dangereux. Je lui dis ma peur, mon désir de rester en vie et de ne pas quitter mon lieu de pouvoir. Il me dit son amour des ours noirs, qu’il ne les croit pas dangereux et qu’il pense que celui-ci est parti vers le Nord. Il me rappelle si je le vois de ne pas courir et de taper des mains. Je retourne donc vers mon lieu de pouvoir, en brave fille que je suis. Aujourd’hui, avec le recul, je trouve ce détail assez signifiant. Je m’en vais trouver la déesse, j’appelle le féminin de toutes mes forces, tout me parle de cette réceptivité féminine et c’est vers un homme que je me retourne pour prendre une décision plutôt que d’honorer ce qui est en moi et autour de moi. Une guerrière ne rend pas les armes si facilement.
Je me recouche donc armée d’un long couteau. Aussitôt, un long grognement s’approche, comme un chien, comme dix chiens en colère, il grogne et il avance. Je comprends du dedans et sans aucun doute que je suis en danger, qu’il ne veut pas de moi sur son territoire. Il m’a toléré le jour, mais la nuit, il veut reprendre ses droits. Il a déjà fait partir Francyne, il ne reste que moi et il est bien décidé à ce que je quitte. Il est si près que je sens son odeur musquée. Un film se déroule dans ma tête, je le vois déchirant mon flanc de ses griffes. Je sors de mon abri en poussant quelque chose qui ressemble à un cri, un appel, un hurlement sorti du bas-ventre, instinctif, primal. Il s’est enfui dans la nuit.
J’ai couru un peu plus loin et suis tombée par terre, effondrée. Après l’adrénaline, j’étais par terre, abasourdie, sans aucune énergie, pleurant comme un bébé. J’avais eu la plus grosse peur de ma vie, mais surtout, désespoir et tristesse infinis, je devais quitter mon lieu de pouvoir, je devais quitter le paradis. Je voulais poursuivre ma dernière journée de jeûne et de quête. Je ne voulais pas arrêter si près du but. Gordon m’a dit que nous verrions demain pour me trouver un autre lieu de pouvoir.
Je n’ai à peu près pas dormi de la nuit, j’avais l’estomac rempli d’acidité et de feu. Ça brûlait comme un feu intérieur, comme ça avait brûlé Francyne la nuit précédente. Aujourd’hui, lorsque je pense à des brûlements d’estomac, je me dis que c’est la peur qui est en cause. La peur brûle, Francyne et moi en sommes la preuve.
Le lendemain matin, je n’avais pas la force de me trouver un autre lieu de pouvoir, le jeûne, la peur d’ours et sa brûlure au fond de l’estomac m’avaient enlevé mes dernières réserves. Dans cette nuit de feu intérieur, je me suis rappelée, qu’il y a de cela très longtemps, j’avais levé les bras pour me défendre et que, depuis, j’étais demeurée dans cette position de guerrière prête au combat. Durant toutes ces années, bien peu de choses m’avaient fait baisser les bras.
C’est cette guerrière fatiguée qui est partie au petit matin pour trouver un autre lieu, mais je ne le savais pas encore. Je suis partie, étourdie, de l’autre côté de mon lieu de pouvoir, mais les lieux étaient trop sombres et pleins de traces d’ours. Je suis donc retournée sur mon lieu là où j’avais eu tant de joie. J’ai traversé la rivière, je suis entrée sur le territoire d’Ours, je me suis accroupie et suis tombée face contre terre. J’étais là, dans cette position, quand Francyne (gratitude éternelle, mon amie, ma sœur de quête) est passée, elle m’a aidée à me relever et à restituer toute la peur et l’acidité que j’avais contenues toute la nuit. Gordon est passé, il est venu nous rejoindre. Devant ces témoins pleins de sollicitude, à genoux sur la terre-mère, prostrée, sans armes, j’ai pleuré, pleuré, pleuré, pour cette guerrière sans limites.
Pendant que je laissais mourir en larme, petite et humble, cette guerrière infatigable j’en sentais une autre qui attendait à naître depuis longtemps. Une qui allie douceur, fragilité, sensibilité et courage. Je n’étais plus l’amazone toujours disposer à démontrer combien elle était forte et courageuse. Je savais que ma quête se terminait ici, je rentrais au camp de base, l’enseignement était complet.
Il y a longtemps déjà, on m’avait dit combien la désintégration était une expérience plaisante. Je l’ai compris à ce moment précis. J’étais morte et je renaissais, mon cœur était serein, j’étais à la bonne place. Je prie pour ne jamais oublier ce moment de quiétude qui vient lorsque l’on rend les armes.
Cérémonie
En après-midi, Francyne et moi sommes parties une dernière fois ensemble sur nos lieux de pouvoir. Je me suis lavée à la rivière avant de faire un dernier rituel, le plus important symboliquement. Le cadeau d’Ours. Cela demande cérémonie. De mes mains, j’ai creusé une tombe et avec beaucoup de reconnaissance, j’ai enterré cette guerrière, cette combattante. Je l’ai remercié pour tous les combats menés, car tous les combats n’ont pas été vains. C’est de son énergie dont je me suis nourrie durant toutes ces années pour combattre les injustices et alimenter mon indignation. J’ai enterré avec elle un os de la colonne d’un bœuf, symbole important puisque je suis bœuf en astrologie chinoise. J’y ai enterré mon mal de dos qui, en bonne partie, provient de cette guerrière sans limites et infatigable. J’ai remercié Père ciel et Terre mère pour leur protection, Francyne pour son soutien et Ours pour son enseignement, pour m’avoir permis de rendre les armes. Puis je suis rentrée, le cœur léger. Je pensais me juger de ne pas avoir terminé la quête, mais ça, c’était l’ancien moi. Au contraire, je me suis remerciée.
J’avais prié la déesse pour devenir la fille de la mère, pour retrouver le pouvoir de ma féminité, de ma sensibilité, de mon intuition, pour laisser partir la fille du père, toujours prête à se dépasser, portant les attributs masculins comme un flambeau. Elle m’a répondu, elle m’a envoyé Ours.
Médecine amérindienne
Je sais que je reviendrai ici, je me sens extrêmement privilégier et je suis emplie de gratitude envers Ronnie, son peuple, les Navayos, leur médecine et Gordon qui est imprégné de cette médecine amérindienne. Je ne la possède pas, mais en baignant dedans, en utilisant cette médecine dans les dix derniers jours, je me rends compte de sa puissance et de sa force de guérison.
Je me suis fait un cadeau avant de quitter le canyon. Un collier et des boucles d’oreille d’un vert tendre qui ressemblent aux couleurs de l’olivier sous lequel j’ai tant rêvassé durant ma quête. Amala et Johanne me rappellent que le vert est la couleur du cœur, couleur complémentaire du rouge. Or, j’ai porté du rouge toute ma vie, couleur du feu et du sang. Une guerrière est tombée au combat hier, une autre portant la douceur dans son cœur s’est relevée. Le temps du vert est arrivé. J’allais me déposer dans la douceur et la douceur est venue se déposer en moi.
Dans et avant cette quête, j’ai appelé la déesse pour qu’elle m’indique le féminin sacré, pour qu’elle m’amène au cœur du féminin. Or, il m’est apparu tout au long de ce pèlerinage intérieur que le féminin se trouvait tout à côté de moi, dans les femmes qui m’accompagnaient. En Lana, ronde comme la terre, le visage lumineux, de la joie et de la profondeur, rien en elle n’est sec ou rugueux. Elle est enracinée dans la terre mère sur laquelle elle s’assoie avec la grâce d’une déesse. Dans la jeunesse, la candeur et la beauté rafraîchissante des Laurences. En Amala, qui de tout temps, a été pour moi, une incarnation de la féminité, généreuse et radieuse dans son cœur et dans son corps, du miel, une sucrerie et une amie. En Johanne, silencieuse assistante au sourire et à l’accueil magnifique. Et puis Paule, alliant sans le chercher présence, intelligence et grâce. Parfois Paule est si pleine de grâce, comme lorsqu’elle a raconté l’histoire de Jumping Mouse. Quelle est délicieuse cette histoire de petite souris qui sait que la montagne sacrée existe et ce malgré que personne n’y croit. Quelle allégorie pour les héros et héroïnes que nous sommes !
Tout comme Jumping Mouse, il y a toujours eu pour moi, un guide au bon moment et j’ai parfois, tel le loup, oublié qui j’étais. Tout comme elle et incontestablement lors de cette quête, j’ai accepté de ne plus voir, mais de poursuivre quand même mon chemin dans le noir. D’aller dans le noir pour une vision.
Perles venues de l’invisible
Les choses ne sont pas à l’extérieur ou à l’intérieur de nous. Nous sommes un, ce qui est dehors, est dedans. La douceur que je vais chercher au-dehors, dans la douceur d’une oasis, est en moi et cherche un chemin pour se révéler et se déployer. La nature est un miroir dans lequel il est bon se retourner pour laisser émerger ce qui doit l’être. Quelque chose est-il à naître à l’est de moi-même ? La chaleur du sud qui contient l’innocence de l’enfance, est-elle vivante en mon cœur ? Suis-je descendue à l’ouest, dans la caverne de l’ours pour me reposer et me tourner vers l’intérieur ? Ai-je quelque chose à déposer ? Le guerrier du nord, calme, qui a vu mille fois, la rivière débordée, grossir puis s’assécher, celui qui demeure en silence au bord du lac, regardant du coin de l’œil, les jeunes qui apprennent à nager, ce vieux sage dort-il en moi ? Voilà, quelques questions que la nature nous renvoie lorsque nous regardons et saluons le soleil qui se lève, lorsque nous honorons la chaleur du Sud après la nuit froide ainsi que la douceur d’une journée qui s’achève, sans se presser.
J’ai tout mon temps, je ne suis pas pressée. J’ai envie que les choses se dévoilent lentement dans le temps, sans tirer. Un des cadeau d’Ours, c’est la douceur de la vérité. J’accueille, je cueille, j’attends. J’aime l’attente. J’aime vieillir. La jeunesse est si impétueuse.
Il y a des pèlerinages intérieurs dont personne ne parle, mais qui nous font voyager si loin et sur tant de territoires, que l’on fait le tour du monde sans que l’on ne s’en soit aperçu.
Apprentie sage
Au début de ma quête, je voulais tisser des fils invisibles entre la petite fille, la femme d’âge mûr et la déesse. Ces fils se nomment douceur, accueil, sentiment profond d’être reliée, d’être un. Love.
Terre mère, Premières nations, cette quête vous est dédiée. Sans Terre mère et les enseignements des premières nations, je n’aurais pas trouvé le chemin. Gordon, vieil ours, Merci !
Cadeau du dénuement. Enlever les pelures une à une. Je suis rejointe par le vent du sacré, imperceptible moment de présence à soi. Passé, présent, futur intereliés. Je suis complète. Tout passe !
Je suis dans l’avion de retour, nous venons de décoller de Phoenix (le phoenix est l’oiseau qui renaît de ses cendres) et en dedans ça crie : JE L’AI FAIT ! J’ai de nouveau traversé le doute, la foi, les écueils, la solitude, la grâce, la beauté, tout ce qui caractérise et donne du sens aux pèlerinages.
« Tout arrive à qui sait mourir pour mieux revivre. Ce n’est pas sans peine. Je crois que l’on revient mieux après le départ de soi-même » (Daniel Bélanger).
Confiance. Faire confiance au processus, au groupe, à la communauté. Pas de maternage, mais un contenant qui permet vraiment de lâcher prise, de se donner totalement à l’expérience.
Justesse. Paule, qui m’enseigne la justesse, l’authenticité, l’auto responsabilité, l’appui sans prise en charge. Avec elle, pas de faux-semblant, qu’un miroir dans lequel se regarder. Le cadeau de Paule tout au long de la formation : Une qualité de présence à soi et à l’autre qui m’apprend par un rappel constant que je ne suis nullement responsable de l’autre, mais totalement de moi et qu’aimer n’a rien à voir avec materner, mais tout à voir avec la confiance profonde que l’autre a tout ce qu’il faut pour faire face et trouver en lui la réponse à ses questions. La seule responsabilité que nous avons en relation c’est d’être complètement ce que nous sommes dans l’accueil et dans l’amour.
Fin ou début, dépendamment de la perspective
Quelle aventure ! Quel cadeau dont je ne mesure pas encore toute la portée. Ce qui me
reste et me suit au quotidien : Sécurité intérieure, je suis plus calme, assise, déposée sur du solide. La peur s’est estompée, transformée. Ce que je suis se déploie. Doucement sans forcer. Ma vision de moi est différente. Plus vaste, plus consciente de mon pouvoir personnel et pourtant très humble devant ce qui émerge. Comme si mon lieu de pouvoir était désormais en moi, j’en prends conscience en l’écrivant. Je cherche moins l’approbation, je me contente d’être et d’offrir ce que je suis et je me trouve belle et abondante, heureuse d’être ce que je suis, d’être en vie. Je me sens à la bonne place. En moi. Je suis enfin rentrée à la maison.
MR / 2007