Occasions d’aimer!

« Aimer, ce n’est pas connaître mais se brûler. » Eric-Emmanuel Schmitt

Il y a dans ma vie un jeune homme devenu grand, qui a perdu sa mère, d’un anévrisme au cerveau lorsqu’il avait un an. Cet anévrisme a laissé cette femme lourdement handicapée et complètement dépendante des machines et des soignants durant 14 ans. Dernièrement, nous en avons reparlé et dans le feu de l’action, j’ai réagi promptement en disant qu’à sa place, j’aurais souhaité mourir et que l’euthanasie aurait été la bienvenue. D’ailleurs, bien souvent lorsque je pense à des maladies qui nous laissent totalement dépendants, ma première réaction est l’effroi de vivre comme cela et comme bien des gens, je pense parfois qu’il serait préférable de mourir.

Une réaction tout à fait humaine devant la souffrance que nous tentons de tenir à distance et Occasions d'aimerqui nous fait si peur. J’ai moi-même si peur d’être malade, diminuée, de m’en remettre
totalement aux autres, moi qui suis habituée à
avoir un certain contrôle sur ma vie. Voilà ce à quoi nous confronte la maladie, la mort et la souffrance, à la perte de contrôle. Voilà pourquoi, nous restons là à ne pas vouloir y regarder de plus près, à tenir à distance le mystère qui se trouve au cœur de la souffrance. La nôtre et celle des autres qui trouve généralement un écho en nous.

Je me fuis moi-même, mais je ne perds jamais ma trace, je me rattrappe toujours, a dit Eric-Emmanuel Schmitt. C’est ce qui est arrivé le lendemain matin, dans un moment de recueillement et de silence. Ce jeune homme que j’aime et sa mère sont revenus m’habiter complètement et j’ai eu honte de ma réaction. Du plus profond m’est venu avec une grande humilité: Mais qui suis-je donc pour penser savoir qui doit vivre et mourir?

C’est un si grand mystère que des personnes près de nous, soient dans l’impuissance totale et le dénuement. Dans cette société orientée vers la productivité, la performance et la gloire, nous avons tendance à croire que notre dignité se trouve dans le travail, nos actions, nos petites et grandes réussites ou dans le regard des autres. Nous sommes dans une société consumériste où acheter, performer, consommer est devenu la norme. Mon coeur a faim, je me bourre! Mon âme a soif: je bois comme un trou! Mon être veut plus, je consomme (1), mais certaines soifs sont inaltérables et ne trouvent pas leur apaisement dans plus de nourriture, d’alcool ou tous autres substances pour endormir ce qui cherche à être. Que faisons-nous avec les grandes questions existentielles qui font partie de la grande aventure humaine?

Qu’est-ce que la vie, la mort, l’avant, l’après? Pourquoi la maladie, les handicaps, la mort de jeunes enfants, de parents? Pourquoi la souffrance, la guerre, le mal, l’horreur, l’injustice? Que puis-je y faire, pourquoi suis-je ici et eux là-bas? La vie n’est pas un problème à résoudre, mais un mystère à vivre, disait Gandhi le sage.

En occultant ces grandes questions, en glorifiant le bonheur et le plaisir à tout prix, éclipsant le reste, nous laissons tant de petits et de grands, seuls, aux prises avec de si grandes questions.

Je sais que c’est un défi de conserver sa dignité dans la maladie et la désespérance et qu’il est tentant lorsque nous sommes en perte de dignité physique ou mentale de nous croire indignes, mais « aucune maladie ne rend indigne (2) . » Quand des proches, des soignants aident une personne malade, qu’ils l’entourent de soin et d’amour, il y a dans tous ces gestes compatissants toute la dignité humaine. Quand des personnes reçoivent des soins de qualité et de l’amour, elles nous rappellent toute la confiance et l’abandon nécessaires pour se laisser porter par nos proches et ceux qui nous soignent. L’amour nous rend dignes, c’est dans l’amour que nous retrouvons notre dignité.

Ainsi, les personnes telles cette jeune mère, les malades en fin de vie, les personnes handicapées, les plus faibles et les plus fragiles, nous plonge au cœur du mystère et nous renseignent sur le sens du don véritable, gratuit, sur la bonté, des mots qui ne sont plus très à la mode, mais qui prennent vie à chaque fois que nous prenons soin de quelqu’un. Il est si rare que nous soyons appelés à aimer de façon désintéressée sans rien attendre en retour.
Occasions d'aimer
Voilà ce qui m’est venu en acceptant de me laisser toucher par cette histoire. Devant le sens de la souffrance, peu importe la forme qu’elle prend, l’intellect doit s’incliner, il y a peu d’explications à trouver avec la tête devant de si grandes questions, ces réponses soufflent du cœur, des profondeurs. Il y a dans la souffrance tant d’incompréhensible, qu’il nous faille aller là où l’âme murmure pour donner du sens à ce qui nous dépasse.

La souffrance existe, elle prend mille et une formes et n’épargne personne… Elle est présente dans nos petites et grandes épreuves de vie, les maladies, les bombes qui tombent, la haine toujours inutile. Bien humblement, je ne prétends pas détenir la vérité sur le sens de la souffrance, car la vérité n’est jamais une, elle est multiple, par contre, ce que je sais c’est qu’elle ouvre nos cœurs et nous rappelle qu’il est urgent d’aimer. Ainsi, elle nous ramène à nos fragilités d’humain, nous rendant plus attentifs, aimants et compatissants les uns envers les autres. Elle nous rappelle combien la vie est fragile et ne tient qu’à un fil et que de ce fait, nous devons en prendre soin et être reconnaissants d’être vivants.

Manon Rousseau / novembre 2015

(1) Le goût de vivre, le goût de mourir, Paule Lebrun, http://www.horites.com/COTE_Dossier_de_presse_files/goutvivremourir.pdf

(2) Dignité et fin de vie, Bertrand Blanchet

 

 

 

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